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Ma petite histoire de black-out

Auteur: Auteur.e Anonyme
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Ma petite histoire de black-out
Crédit: Unsplash

Trigger Warning/Content Warning/Avertissement de déclencheur : agression sexuelle

 

Quand j’avais 17 ans, en secondaire 5, j’avais un kick sur un ami et lui sur moi. Plusieurs fois, je lui ai dit que ce n’était pas réciproque parce que je n’aimais pas ses valeurs. Je ne faisais pas le party. J’étais une jeune vierge prude et fière. Which is fine.

Un soir, il m’a invitée chez lui pour écouter un film. Il a même invité une autre amie, tsé, pour que je me sente pas trop intimidée. Sa mère n’était pas là. J’ai raconté à mes parents que je couchais chez une amie… même si je ne savais pas trop où j’allais coucher ce soir-là.

On est arrivés chez lui et ça n’a pas été long qu’on ressortait au dépanneur chercher des quilles de Black Label Big Ten pis des jujubes. Quel accord savoureux. C’était la deuxième fois que je prenais de l’alcool.

Après ça, on s’est installés devant la télé du sous-sol, sur un genre de divan-lit ouvert, à trois.

Mes derniers souvenirs ressemblent à des grosses gorgées de Big Ten ben frettes.

Flash du goût sucré des bonbons, flash des images du film dont je n’ai absolument aucun souvenir.

Après? Les scènes sont floues et j’en ignore l’ordre.

Je suis debout dans la salle de bain et je vomis dans le lavabo. Il est juste à côté de moi. Il me frenche dès que j’arrête de vomir.

Je suis couchée sur le divan-lit avec lui. Il m’embrasse à pleine bouche.

Il est en bobettes. Et sexy, je pense. Je n’ai jamais vu un homme en bobettes. Moi, je ne sais plus trop ce que je porte. Pas de chandail, c’est sûr. Pour le reste, je ne sais pas.

Il fait peut-être noir, peut-être clair. Quelle heure est-il?

Je ne sais pas non plus où est mon amie. Pas avec nous, en tous cas.

J’aimerais dormir. Frencher, c’est nice mais fatiguant. J’ai encore vomi, je pense. Je ne veux pas perdre ma virginité avec lui. Sur un divan-lit.

Je sens des trucs entre mes jambes. Il se passe des choses. Je lui dis : « non, non, je ne veux pas coucher avec toi ». Il me répond : « fais-toi z’en pas, c’est juste mes doigts ».

Je ne savais pas qu’il pouvait mettre ses doigts dans moi. J’ignore si j’aime ça. J’ignore comment on fait ça, du sexe. Il a une grosse patente dure dans ses bobettes. Je ne sais pas quoi faire avec ça. Je veux juste dormir.

Je suis dans la salle de bain, toujours debout devant le lavabo. Je ne sais plus si j’y étais tout à l’heure ou si je suis confuse. Mais je vomis sans fin l’horrible Big Ten tellement amère et il est toujours là pour me frencher.

C’est le matin. Je me réveille quelque part, c’est flou. On est dans la cuisine, avec mon amie. Je vomis encore, probablement dans l’évier. J’ai dû salir tous les éviers de cette maison dont j’ai tout oublié. On repart en autobus. J’ai mal au cœur. À la tête. Il ne faut pas que mes parents sachent ce qui s’est passé cette nuit. Je me demande ce que mon amie pense de sa soirée. Ce qu’elle a vu.

On ne reparlera jamais de cette soirée, mon ami et moi. Jamais. On ne se parlera pas, tout court, pendant quelques mois. Je ne sais pas pourquoi. Lorsqu’on se reparle finalement, il est toujours ce bon gars que j’aime bien.

Puis, le cégep arrive et la vie virevolte.

***

À ce jour, j’ignore ce qui s’est vraiment passé avec l’ami qui avait un kick sur moi. À ce jour, tout ce que je sais, c’est qu’il m’a probablement laissé ma virginité, puisque ma première « vraie » pénétration a été bien douloureuse, comme on m’avait prévenue.

Ça fait plus de 10 ans. Je l’ai dans mes amis Facebook. Lorsque je vois des photos de lui, surtout s’il est en chest, ça me fait drôle. Ce corps m’est un peu familier et absolument pas à la fois.

Quand on parle de viol, de consentement, je ne sais plus quoi penser. Un partenaire m’a déjà dit, exaspéré de certaines réactions que j’avais pendant le sexe, « coudons, on dirait que tu as été agressée ».

Est-ce que c’est le cas? En toute honnêteté, je n’en ai aucune idée. Peut-être.

Mais ce souvenir reste à mes yeux une des seules expériences de jeunesse que j’ai pu vivre en m’émancipant du cadre familial, en osant braver des interdits, en envoyant promener le sentiment de culpabilité de bonne fille qui m’a accompagné une bonne partie de ma vie.

Quoiqu’humiliant – je vomis, on m’a retiré mes vêtements à mon insu et j’ai oublié qui je suis – ce souvenir reste étrangement triomphant : je suis une femme et on me désire. J’ai toujours eu envie de le raconter à mes quelques partenaires depuis, comme pour l’exorciser et à la fois prouver que j’ai brièvement vécu.

Et soudain, le carcan familial qui rend glorieux un tel souvenir me donne envie de vomir par sa rigidité et ses interdits malsains.

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