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T’es dans ma classe de cégep, parce que…
Crédit: Chinnapong/Shutterstock

Hier, dimanche, je suis tombée sur le texte de Réjean Bergeron. Deux amies l’ont partagé. Deux opinions différentes. J’ai lu le texte. Me suis dit qu’il manquait de profondeur, d’esprit de synthèse. Je l’ai dit à l’auteur sur Facebook. Il m’a suggéré de lui répondre. 750 mots.


I’ll be your guest, just look at me!

 « J’adore enseigner. Sauf que lorsqu’un élève ne remet jamais ses travaux, assiste à un cours sur trois, dort lorsqu’il est en classe, ne prend jamais de notes ou regarde son téléphone intelligent […] »
 « Sauf », c’est comme un « mais », ça laisse dire que, nah, finalement, je pense le contraire de ce que je viens de dire. Dans ce cas précis : je n’aime enseigner QUE quand ma classe est facile, écoute, pose des questions… Ça veut dire que je n’aime pas ça, quand c’est plus difficile de rejoindre certain.e.s étudiant.e.s, qu’il faut insister, répéter, rappeler à l’ordre, prendre par la main…
Je suis bonne joueuse : j’avoue, moi aussi que je trouve ça plus facile d’enseigner quand mon groupe est discipliné, attentif, pose des questions profondes, quasi universitaires, qu’il me dit : « Moi, Madame, j’aime TELLEMENT la littérature. Je lis tous les soirs. » C’est cool quand ça arrive. La réalité, c’est que ça n’arrive pas tous les jours, ni même toutes les sessions…

« Ben là, Cara, pourquoi tu continues. Change de domaine! »
Je continue (pis c’est super idéaliste et utopiste) parce que je pense (humblement, et folle de même, je le dis même en classe) que je peux changer le monde, une personne à la fois. Je ne prétendrai jamais être capable de rejoindre et de plaire à tou.te.s mes étudiant.e.s. J’aimerais ça, mais non, ça ne se peut pas. Pas quand j’en vois près de 150 chaque session…
Onze ans que j’enseigne et que je réalise que, non, je ne pourrai pas tous les rejoindre. Que d’autres collègues à moi réussiront, sûrement. Pis que, guess what… C’est parfait comme ça.

Cara, pourquoi un.e étudiant.e dort-il-elle en classe?
Elle est fatiguée, il travaille tard, elle est obligée, le loyer est cher, sa mère a besoin d’aide financière, il a un enfant, sa fratrie, name it.

Étudiant.e.s, pourquoi es-tu dans ma classe?
Madame, je suis dans votre classe parce que je veux aller à l’université, mais vous savez, je ne peux pas avoir de financement du Gouvernement, alors je travaille, ma famille habite loin du cégep, les loyers sont chers, la bouffe, etc.

Madame, je suis dans votre classe parce que je veux travailler dans cette technique, mais les stages, les études, les examens, vos cours à 8 h, mes 7-8 autres cours cette session…

Madame, ce n’est pas contre vous, mais je n’ai jamais vraiment lu. Pour moi, c’est difficile. J’essaie, mais je n’y arrive pas. On ne m’a jamais diagnostiqué.e (tdah, dyslexique, asperger, etc.). Les listes d’attente au public sont interminables, mes parents ne veulent pas que je prenne de médication, etc.

Madame, vous êtes super, j’aime juste pas vos cours.

Madame, votre manière d’enseigner ne me convient pas.

Madame, je suis fatiguée.

Madame, je vis trop de pression.

Madame (silence et pleurs)… Je prends doucement, avec consentement, l’étudiant.e dans mes bras de maman (matante) qui consolent et comprennent. Je leur offre un mouchoir, essuie leurs larmes et leur dis qu’ils ou elles sont capables, que je les aiderai et que si ça prend une session de plus, ben, que ce n’est pas la fin du monde. Six mois dans une vie, ce n’est rien. Moi, du haut de mes presque 36 ans, je le sais. Eux du haut de leurs 17-18 ans, ils ne le savent pas… encore…
Je suis prof de littérature au cégep. Je n’ai pas de cours de pédagogie. Je suis spécialiste de contenu, de matière. BAC et MA dans mon domaine : Études françaises à la pompeuse UdeM, paraît.

Je sais que mon domaine n’est pas le préféré des étudiant.e.s. Que mon domaine est un apprentissage nécessaire à la réalisation de leur vie professionnelle (argumentation, organisation du discours, culture générale, etc.)
Je sais surtout que mes étudiant.e.s sont intelligent.e.s et qu’ils/elles feront le bon choix : études techniques, universitaires ou professionnelles.
 
Je sais que mes étudiant.e.s sont libres. Pire, je revendique leur liberté de penser et de choisir.
 
Je l’ai de Kant, en bonne dix-huitièmiste, écrit sur le bras : Sapere aude : ose penser par toi-même.

Crédit : Emilie Sarah Caravecchia

Pis, l’air de rien, étudiant.e.s, profitez de vos expériences et de vos propres choix. 

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