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Tu voulais juste que ÇA s’arrête
Crédit: Alexas_Fotos/Pixabay

Tu penses que t’es au-dessus de ÇA. Tu penses que toi, ÇA t’arrivera jamais. Toi, t’es pas naïve. Toi, tu ne te mettras jamais dans une position dangereuse. Toi, t’es plus forte que les autres. ÇA ne peut PAS t’arriver.

Jusqu’au jour où ÇA t’arrive.

ÇA t’arrive comme une claque en pleine face qui vient te ramener les deux pieds sur terre et te rappeler que t’es comme les autres. T’es pas inatteignable. T’es pas invincible. Et ÇA te brise en mille morceaux sans que tu t’en rendes compte. Avant, tu te dis que c’est impossible que tu t’apprêtes à vivre ÇA. Pendant, tu te dis que c’est impossible que tu sois en train de vivre ça. Après, tu te dis que c’est impossible que tu aies vécu ça.

Victime, toi ?? JA-MAIS ! C’est impossible. Pas toi. Mais fille, c’est ÇA qui est arrivé. Tu as été victime de viol.

Tu voulais répondre à tes questions. T’avais pas trop confiance en toi. T’étais pas consciente de ce que tu valais. Alors le premier gars serait le bon. Mais non. Ça aurait pu. Mais non. Tu l’as rencontré sans être prudente. Tu voyais bien que tout ce qu’il voulait c’était du sexe. Mais tu t’es convaincu que non. Tu l’as laissé entrer chez toi. Et tu l’as laissé te toucher. Tu te sentais mal, mais tu voulais tellement savoir c’était quoi cette magie que tout ton entourage trouvait dans le sexe.

Et c’est là.

C’est là que ça a dégénéré. Tu ne voulais plus. Il voulait encore. Tu voulais juste que ÇA arrête. T’avais mal, t’avais peur. Il l’a senti, il a continué. Sans se soucier. En pensant à SON plaisir. ÇA a fini pas s’arrêter, quand il a été satisfait. Il t’a laissée là. Sur TON lit. Nue. Confuse. Sous le choc. Brisée. Pas une larme. Pas un son. Pas une émotion. Pas un geste. Complètement sous le choc. Immobile. L’incompréhension totale. Jusqu’à ce que tu appelles ton amie et qu’elle te dise sur un ton horrifié que tu venais d’être violée.

Il t’a passé dessus sans tu le veuille, contre ton gré. Et il est parti avec toute la confiance que tu avais ramassée depuis toutes ces années. Pouf! En quelques minutes, il a tout brisé. Il t’a brisée TOI.

Ton amie vient te chercher et t’amène à l’hôpital. Tu pleures. Tu pleures encore. Mais tu pleures parce que tu es censée pleurer. En fait, tu n’y crois pas à ÇA. Tu ne comprends pas. Tu te retrouves assise au bureau des urgences. La personne à l’accueil te demande la raison qui t’a amenée là. La réponse, tu l’as dans ta tête : « je veux passer une trousse médico-légale, j’ai été victime d’une agression. »

Mais aucun mot ne sort de ta bouche.

Les mots se bousculent dans ta tête et résonnent tellement fort que tu penses t’évanouir. VICTIME. VIOL. AGRESSION. MALADIES TRANSMISES SEXUELLEMENT. Tu essaies de parler, mais rien à faire. Ton amie le dit à ta place. Ta mère arrive. Complètement désemparée, comme tu ne l’avais jamais vue auparavant. Elle n’a aucune réaction excessive.

Le lendemain, tu le dis à ton père. Son poing frappe la table si fort que tu crois qu’elle va se fendre en quatre. Tu vois dans ses yeux la colère, l’incompréhension, le désespoir et une tristesse infinie.

Le surlendemain, tu le dis à ton petit frère de 16 ans. En t’écoutant, il continue à fixer l’écran de la TV et à jouer avec son jeu vidéo. Mais tu vois qu’il tient la manette si fort qu’elle va se casser. Et tu vois une larme couler sur sa joue. La seule que tu as vue couler sur sa joue depuis plusieurs années.

Quelques jours plus tard, tu le dis à ta meilleure amie. Elle est dans une autre ville, loin de toi. Deux heures plus tard, elle est à côté de toi.

La semaine suivante, t’es assise devant un enquêteur. La semaine suivante, t’es assise devant une travailleuse sociale de la CAVAC. Un mois plus tard, t’es assise devant une procureure de la couronne. Elle te dit que ton histoire n’est pas assez solide. Que ton non-consentement n’est pas assez clair. Que tu vas perdre le procès. Qu’elle sent que tu as peur de perdre (où plutôt qu’ELLE a peur de perdre le procès). Et elle se permet même d’ajouter : « la prochaine fois, tu prendras ton auto ma belle. »

Tu sors du Palais de Justice en te demandant où elle est la justice. En même temps, un énorme poids s’enlève de tes épaules. Du moins, c’est ce que tu penses. Les semaines passent. Tu dis que tu vas bien et tu te crois. Jusqu’au jour où tu rencontres un autre gars. En marchant vers le bar où il t’attend, la peur s’installe en toi. Ce n’est pas le petit stress (quand même le fun) que les autres filles ont avant une première date. Non. Toi, t’as pas ce petit thrill là. Toi, c’est la peur des gars qui t’envahit et l’absence totale de confiance en eux. Tu y vas quand même pour que cette peur ne reste pas gravée en toi, pour pas que ÇA te hante toute ta vie.

Finalement, le gars était respectueux et gentil. Respectueux et gentil parce qu’il ne t’a pas violée?! Non. Tu devrais penser qu’il était normal et que celui qui t’as fait ÇA n’est pas bien dans sa tête. La nuance est importance. Elle fera toute la différence dans ta perception des gars.

Ta vie continue et t’es forte. Mais tu as toujours ÇA en toi. Bien sûr, ÇA ne te définit pas, mais ÇA fait partie de toi et tu apprends à vivre avec, un peu comme un handicap. Oui, ÇA t’a brisée. Oui, tu vas continuer ta vie. Et oui, tu crains encore tous les autres gars.

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