Aller au contenu
Perdre ma job, c’était pour le meilleur [PARTIE 1]
Crédit: Unsplash

Lors de ma dernière année d’université, j’ai décroché un stage/emploi dans une grande firme. J’étais aux anges, car 1) l’emploi semblait relié à mon domaine, 2) j’y voyais l’opportunité d’acquérir de nouvelles compétences, 3) le salaire était excellent, et 4) le café était gratuit et buvable.

L’entrevue avait duré deux heures, incluant un test à l’ordinateur et une heure de monologue d’un employé senior de la firme sur les termes techniques et les outils utilisés. Par crainte d’étaler mon ignorance et de ne pas décrocher le poste, je n’avais posé aucune question. Pendant les quinze minutes qui séparaient l’entrevue de l’annonce des résultats du test, j’ai patienté seule dans un pièce en me demandant si j’allais accepter ou refuser, si offre il y avait.

Ce jour-là, on m’a dit que j’avais bien réussi le test et on m’a proposé l’emploi, que j’ai accepté avec enthousiasme, mais la gorge serrée. Enfermée au fond d’un placard sombre, une petite voix m’avait pourtant soufflé de réfléchir, d’attendre un peu, de chercher ailleurs.

(J’ai su beaucoup plus tard que plusieurs candidats s’étaient succédé à ce poste au cours des trois dernières années et que la direction cherchait désespérément quelqu’un pour le combler.)

J’avais 21 ans, un vieux 4 x 4 rouge, mon premier appartement, mon premier vrai chum, une dette d’études et une fatigue lancinante imprégnée jusque dans mes pores.

J’ai terminé mon emploi d’été un jeudi. Le lundi suivant, je commençais mon nouveau boulot. On m’a présenté l’équipe : une grande blonde au visage doux, un jeune geek, un vieux geek, un roux aimable et un jeune barbu qui était le gestionnaire.

Du premier jour, je n’ai que peu de souvenirs, sauf d’avoir parcouru les open-spaces pour serrer des mains, me présenter et tester les machines à café plus hi-tech que mon cellulaire. Ah, j’ai aussi lu des documents pour les ressources humaines, assise à côté de la grande blonde qui, bien gentiment, m’expliquait à temps perdu comment me retrouver dans l’intranet labyrinthique de la firme.

Sur le chemin du retour après cette première journée, j’ai pleuré. Larmes de douleur pour mon été envolé, larmes de rage de ne rien comprendre, larmes de fatigue.

Je me disais que ça irait mieux le lendemain. Pourtant, chaque jour me montrait que je n’étais pas faite pour cet emploi. Je ne possédais pas la moitié des compétences requises et je mettais un temps fou à accomplir la moindre tâche, faute de connaissances et d’habiletés techniques. Mais je ne disais rien, car je voulais décrocher mon baccalauréat et il était trop tard pour chercher un autre stage.

Pleurer est devenu mon échappatoire. Après chaque journée de travail, je sanglotais pendant le trajet du retour.

Je n’ai pas non plus eu de formation appropriée à mon poste et le mentorat pour le stage se réduisait à une rencontre hebdomadaire avec le gestionnaire, qui m’assurait que c’était normal d’être dans le néant durant les six premiers mois à l’emploi. Six mois!

J’ai tout de même produit un rapport de stage satisfaisant qui m’a valu un B. Quand j’ai reçu ma note, je savais que la porte de sortie était grande ouverte et que j’aurais pu fuir. Travailler dans un café en terminant ma session, chercher un autre emploi payant, partir en voyage avec une amie, retourner chez mes parents, démarrer un blogue, dormir, me cuisiner un vrai repas, passer du temps avec ma soeur, et quoi d’autre? Mais je n’ai rien fait de tout ça.

J’ai choisi de rester.

Je suis restée pour me prouver que j’étais capable d’occuper cet emploi, car moi et mon insignifiante expérience valions bien autant que tous ces gens si instruits, n’est-ce pas?

Je suis aussi restée parce que le poste était très payant, près du double du salaire moyen d’un finissant dans mon domaine d’études. C’était une mine d’or pour moi, ma dette d’études et mon train de vie endiablé. Naïve, je croyais que l’argent compenserait pour mon désespoir.

Je refusais de m’avouer vaincue malgré mon désarroi envahissant et les nuits blanches qui me meurtrissaient le visage. Le soir, seule dans mon appartement, je buvais de la bière, espérant m’engourdir assez pour dormir quelques heures. Le lendemain, je ravivais mon teint à coups de pinceau et je peignais un sourire sur mes lèvres.

Du lundi au vendredi, de 8 à 4, je me sentais comme un imposteur, car malgré mes efforts, je ne produisais rien de valable et le seul feedback que je recevais étaient, sans surprise, des reproches. Dix fois, j’ai demandé de l’aide. Dix fois, on m’a reproché mon manque de rigueur et d’initiative. Dix fois, j’ai ravalé mon envie de m’enfuir.

(La suite à venir dans la partie 2)

Plus de contenu