Juin 2015. Roulée en boule dans le coin du lit, dans le coin du mur, la face dans les genoux. Si j’avais pu rentrer dans le mur par moi-même, je l’aurais fait. Si j’avais pu me dissoudre dans les draps, je l’aurais fait.
L’ombre qui me suivait jusque-là doucement, insidieuse, affolante, tranquillement, a fini par m’engloutir complètement dans le coin de cette pièce. L’ombre cruelle de l’histoire qui se répète, sans crier gare.
Je me souviens de mes yeux qui n’ouvraient presque plus. De fatigue, d’avoir trop pleuré, pleuré sans cesse, de manière presque inhumaine. Le visage bouffi, pathétique. Je me souviens avoir eu du mal à lire l’écran de mon téléphone quand j’ai écrit à Rose pour lui demander si la chambre à louer dans son appartement avait trouvé son locataire pour juillet. Elle m’a répondu tout de suite.
« Est-ce que ça va? »
J’ai pris ma décision ce soir-là. Je lui ai dit le lendemain. Que c’était assez, que c’était fini. Parce qu’à un moment donné ça suffit. J’ai mis mes affaires dans des boîtes dans les semaines qui ont suivi, vite et bien. Pis je les ai posées chez elles.
Les quatre ans qui ont suivis, je les ai passés à cohabiter avec des femmes qui ont fait fleurir toutes les sphères de ma vie. À digérer la douleur, la peine, la colère autour de la table de la salle à manger, dans les moments où on s’y attendait le moins. Pleurer entre deux sacs de jujubes, avant même de me rendre compte que quelque chose me pesait encore. Un colleux de cœur à cœur avant de retourner dans nos chambres. Jamais seules.
J’ai eu la chance inestimable de pouvoir panser les plaies d’une relation poison, qui avait presque fini de tout infecter en moi. J’ai eu le privilège de le faire dans la chaleur de femmes qui m’ont écoutée, qui m’ont entendue, qui m’ont protégée et, par-dessus tout, qui m’ont comprise.
Parce que de toutes les choses superbes que la présence des femmes de ma vie m’a apportées, c’est la réciprocité des expériences qui m’a le plus profondément marquée. Ce nœud serré qui nous unit toutes, dans le plus beau, comme dans le plus laid. Dans la philosophie comme dans les abus.
Je pense à ces quatre années incubatrices que j’ai passées à me refaire avec elles, à réapprendre à respirer après avoir passé d’une cage à l’autre durant les vingt premières années de ma vie. Je pense à cette chaleur, à ces rires, à cette proximité salvatrice que m’a procurés ma colocation. J’y pense et j’ai le vertige quand j’imagine ce qui me serait arrivé si je n’avais pas eu cette ultime porte de sortie.
Dans les derniers jours, j’ai essayé de repousser le moment où j’aurai à penser à cette transition bouleversante, alors que j’emboîte doucement ma vie pour mieux la déposer dans mon futur chez-moi, toute seule. J’ai repoussé le passage obligé des conclusions et de l’introspection parce que la gratitude est telle que ça me fait mal.
Dans une culture où on s’efforce de tourner les relations entre femmes en dérision, en compétition malsaine ou en chamaillages insignifiants, j’aimerais poser une pierre ici et souligner l’importance vitale de la solidarité féminine pour la survie de toute personne qui s’identifie comme femme. Je pèse mes mots. Vitale. C’est un sanctuaire inestimable qui, malgré qu’on s’empresse de le saccager, tresse des liens toujours plus serrés, toujours plus résilients face à la honte, face aux violences, face à tout ce qui tente en vain de nous effacer.
Ça a sauvé la mienne, en tout cas.