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Vogue et Ashley Graham : fausse révolution ou nouvelles normes?
Crédit: voguemagazine/Instagram

Le 8 février 2017, Vogue Magazine a dévoilé sur son Instagram la couverture de son numéro de mars, intitulé : « WOMEN RULE! Fashion’s fearless females » (ma traduction serait : « la mode féminine qui n'a pas froid aux yeux ») (sic.) avec, comme sous-titres, « The Beauty Revolution » et « No norm is the new norm » (« La nouvelle norme, c'est de ne pas en avoir »). On y retrouvait la supermodèle dite taille « plus » Ashley Graham en compagnie, entre autres, des illustres Kendall Jenner et Gigi Hadid, qui sont parmi les mannequins les plus en vogue (lol) de notre époque.

Crédit : voguemagazine/Instagram

La description de la publication Instagram de Vogue mentionne que la couverture rend hommage aux « femmes américaines modernes », et la reprise d’Ashley Graham est accompagnée des mots-clics #diversity et #inclusion.

Évidemment, les mouvements pour la diversité corporelle et leurs médias en attendent dorénavant beaucoup des grandes institutions de la mode, après toute les démarches et la sensibilisation qui ont été faites dans les dernières décennies.

Il allait donc de soi que la publication de Vogue, qui incluait, avec Ashley Graham, la figure aux courbes standardisées la plus mainstream de l’activisme en matière de diversité corporelle, attire autant l’attention et les critiques.

Allons-y des miennes.
Ils sont rapides sur les tapes dans le dos, chez Vogue. On place la mannequin taille « plus » au corps et au visage les plus « acceptables » sur le marché au milieu de six filles minces, jolies et pâles – qui forment quand même près de 99 % du bassin de mannequins haute couture côté morphologie, et près de 90 % côté carnation, incluant celles qui « passent pour » blanches (alors que la moyenne des femmes américaines moyennes font du 16 au 18, selon une étude récente) –, et on appelle ça « révolution » et « diversité » juste parce qu’en 2017, on n’avait encore jamais permis à un mannequin portant plus grand qu’une taille 4 de faire la couverture d’un magazine de mode prestigieux comme Vogue.


Étude de 2016 sur la diversité parmi 8,832 mannequins pour les défilés du printemps 2017
Crédit : The Fashion Spot 

« No Norm is the New Norm »
Aussi, il faut soit un culot monstre soit une naïveté flagrante pour écrire ensuite : « No norm is the new norm ». Comme si cette photo allait régler tous les problèmes d’exclusion de la mode. Tout ce que je vois, bien au contraire, ce sont sept filles qui correspondent rigoureusement aux normes de beauté, Ashley Graham y compris, mais proportionnellement taille plus. Il se trouve des idéaux de beauté inaccessibles dans les grandes tailles aussi.

Et puis, ils ont été plusieurs à remarquer ce qui distinguait Ashley Graham des autres mannequins sur la photo, mis à part la taille : elle est la seule qui porte des shorts noirs (la couleur par excellence pour amincir et ne pas attirer l’attention) et elle est la seule dont la main est le long de sa cuisse.

Parlez de conspirationnisme si vous le voulez, mais ce détail a pour effet de camoufler le galbe réel de sa cuisse qui est, normalement, assez différent de celui des demoiselles auprès d’elle. Par cette pose, on aurait souhaité cacher le plus possible ce qui la distinguait tant du reste du monde du mannequinat.

Rebondissement : confrontée à des centaines de fans qui déploraient cette attitude de honte possiblement exigée par les photographes Inez & Vinoodh, Ashley Graham a pris la parole pour affirmer… que c’est elle-même qui a choisi de poser ainsi.


Crédit : theashleygraham/Instagram

Déception chez tout le monde : on ne comprend pas. La mannequin est pourtant connue pour ses photos inspirantes qui témoignent d’une acceptation impénitente de son apparence et de ses cuisses cellulitiques en particulier. Pourquoi, soudainement, au cours d’une séance photo dont la diffusion du résultat aurait plusieurs millions d’observateurs, cacherait-elle ce dont elle est tellement fière?

Mais, hé, on comprend que les intentions étaient bonnes et pures derrière la photo du numéro de mars. Ces mannequins avaient vraiment l’impression que cette couverture venait bouleverser les paradigmes précédemment établis, qu'elles participaient à un changement pour le mieux. Mais malheureusement, ça dégouline d’une inconscience de la réalité, d’une espèce de petite bulle de privilèges, même si elle est pleine de bonne foi. À croire que tous ces gens vivent dans un autre monde, du moins loin de celui d'une personne comme moi. Cette photo est le constat qu'il y a un fossé au-dessus duquel on peine à construire un pont.

Donc merci, mais non merci.
Il n’y a rien de révolutionnaire là-dedans. L’impact prévaut toujours sur l’intention. C’est, au mieux, un « pas vers l’avant ». Et, oui, on peut en ressentir une petite joie pour l’effort, mais on peut aussi trouver que ça n’est vraiment pas suffisant et demander mieux. Et, non, ces deux choses ne sont pas mutuellement exclusives! Si on décidait de toujours se contenter du strict minimum qu’on nous offre, on n’aurait jamais eu de mannequin « taille plus » sur la couverture du Vogue. Ce serait bien qu'on n'en reste pas qu'à une simple couverture…

 

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