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Agressions sexuelles : pourquoi est-ce si difficile de porter plainte?
Crédit: wavebreakmedia/Shutterstock

Depuis quelques semaines, les articles sur la culture du viol fusent et chacun donne son opinion. Je pense notamment au cas d’Alice Paquet. Certains estiment que sa façon de faire n’a pas été correcte qu’elle aurait dû faire ceci ou cela. Yves Boisvert a écrit un article à ce sujet. Je suis d'accord avec certains points, mais voudrais aussi ajouter une autre perspective.  
 
Dans un premier temps, je suis d’accord avec lui, nous avons un système de justice qui est en place ; si tout le monde se mettait à « se faire justice soi-même » sur la place publique, notre société deviendrait complètement chaotique. Il y a des lois, des mesures et des procédures. Idéalement, pour bien fonctionner en société, on se doit de les suivre. PAR CONTRE, qu’est-ce qu’on fait lorsque ces procédures s’avèrent inefficaces, inadaptées et insuffisantes? La réaction d'Alice Paquet était-elle la bonne? Ce n’est pas à moi de décider ça, mais quand on se sent délaissé par le système, on utilise les moyens dont on dispose pour essayer d’évacuer la douleur et d’obtenir justice.

Certains semblent avoir la certitude que le système en place est infaillible et que les services de police ont une formation adéquate pour traiter ce type de plainte. Connaissez-vous des femmes qui ont été violées? Vous ont-elles déjà partagé leur douleur? Cette impression de vide, les dépressions, l’isolement, le sentiment de toujours devoir se justifier lorsqu’elles expliquent leur histoire, le développement d’une aversion pour son propre corps, la difficulté d’avoir des relations sexuelles saines par la suite, la confrontation de leur entourage qui, parfois, ne les croit pas, la peur de sortir de chez soi, la peur des autres, ça peut même aller jusqu’à la volonté de mourir et les tentatives de suicide.

Juste le fait d’aller voir la police pour en parler est une très grosse épreuve en soi, d’où la raison pour laquelle plusieurs femmes attendent des mois, parfois des années, avant de porter plainte, tellement elles sont traumatisées. Imaginez si l’accueil qu’on leur réserve au poste de police n’est pas adéquat.

Je connais malheureusement plusieurs femmes qui ont été violées ou agressées, ici et en France, et toutes celles qui ont tenté de porter plainte m’ont dit la même chose : manque d’empathie flagrant du corps policier et l’impression de n’être pas prise au sérieux, le policier mettant l’accent sur la gravité de la plainte plutôt que sur la gravité du geste qu’elles avaient subi, que ça pouvait détruire la vie d’une personne et qu’il fallait vraiment y penser avant de déposer une plainte pour viol. Elles se sont senties intimidées, culpabilisées. Imaginez à quel point ça peut être intimidant pour une jeune femme de 19-20 ans de devoir raconter (et donc revivre) son viol à un homme policier (en situation de pouvoir et d’autorité) qui semble remettre en question tous vos propos, qui vous demande comment vous étiez habillée, combien d’alcool vous aviez bu et qui vous indique que c’est très grave de poser une accusation pour viol. Je ne pense pas que ça encourage les femmes à aller jusqu’au bout du processus judiciaire.

Ce n’est peut-être qu’une coïncidence et que mes amies ont été malchanceuses, après tout, il y a des bons et des mauvais policiers comme dans tous les métiers. Par contre, les statistiques ne mentent pas. Au Québec, seulement 5 % des crimes sexuels sont rapportés à la police et seulement 3 plaintes pour agressions sexuelles sur 1 000 se soldent par une condamnation. Pourquoi si peu de femmes poursuivent le processus judiciaire jusqu’au bout? 3 plaintes sur 1 000 qui se soldent par une condamnation… N'est-ce pas aberrant? Il est vrai que certaines personnes peuvent mentir, mais pensez-vous que c’est le cas de 997 femmes sur 1 000? À la vue de ces statistiques et des témoignages qui m’ont été rapportés, je pense que la question se pose : est-ce que notre système de justice est si parfait que vous semblez le croire?

Peut-être qu’Alice Paquet est au courant de tout ça, peut-être qu’elle le sait, que le système ne lui laisse pratiquement aucune chance de gagner contre un homme influent, peut-être qu’elle voyait dans le fait de sortir dans les médias raconter son histoire la seule forme de justice qu’elle pourrait obtenir, peut-être que c’est plutôt les médias qui ont récupéré son histoire (qui créait un buzz médiatique) et qui ne cessent de lui proposer des entrevues pour obtenir des cotes d’écoute sans penser aux conséquences que cela aura sur la jeune femme, peut-être qu’elle n’a pas décidé de continuer la plainte parce que certaines réactions haineuses qu’elle a reçues lui font peur et qu’après réflexion, elle ne veut pas avoir à vivre la douleur de confronter son agresseur devant un juge. Qui sait?
 
C’est une jeune femme âgée de seulement 21 ans. Le fait d’être sous les feux des projecteurs et l’attention médiatique sont des choses parfois difficiles à gérer, même pour les politiciens et les personnages publics les plus aguerris. Imaginez pour une jeune femme qui témoigne de son agression sexuelle. Il est possible que ses propos soient confus par moments ou que ses interlocuteurs lui mettent dans la bouche des propos qui ne sont pas les siens. 
 
Bref, il y a de multiples raisons pour lesquelles Alice Paquet peut ne pas avoir encore donné suite à sa plainte, et notre système de justice, dans sa forme actuelle, est plus qu’imparfait. C’est pourquoi je pense que certains font fausse route en affirmant que notre système de justice peut, à lui seul, servir à « vraiment combattre les agressions », comme le dit Yves Boisvert par exemple. 

Oui, il faut punir les agresseurs, mais nous avons surtout besoin de prévention et de changer de culture pour diminuer le nombre d’agressions, pas seulement punir une fois le mal fait.

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