Quand j’ai été embauchée dans cette entreprise, on m’a promis des choses merveilleuses. C’était en juillet 2014, je venais tout juste de finir mon bac, je travaillais dans un centre d’appel et j’étais épuisée psychologiquement quand je pensais à la maîtrise qui m’attendait en septembre. Je n’avais pas encore eu le temps de réfléchir à mon sujet de mémoire et je n’en pouvais déjà plus. J’étais fatiguée et j’avais besoin d’un break.
La patronne m’a manipulée. Avec du recul, je vois bien qu’elle a su utiliser mon épuisement pour me convaincre de me désister de mon inscription à la maîtrise en me disant que, de toute manière, j’allais bénéficier davantage d’une expérience concrète dans une entreprise que de deux années supplémentaires sur les bancs d’école. J’y croyais.
J’aurais dû voir les signes. Elle m’a posé la question fatidique à ma deuxième entrevue : « Quand penses-tu fonder une famille? ». La vérité, c’est que je n’y pensais pas. Je n’ai pas vu le danger dans cette question parce que l’idée d’avoir un bébé ne m’avait pas encore sérieusement effleuré l’esprit. Je lui ai expliqué que je ne me voyais pas faire un enfant d’ici les cinq prochaines années.
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« Tu as 25 ans. Tu es sûre que les bébés, ça ne te travaille pas pour l’instant? ». À ce moment-là, j’ai hésité. J'avais un emploi stable avec un meilleur salaire, mon chum et moi, on s'aime, nos amis qui fondent des familles… Ça me travaillait. Il y a quelque chose qui m’a toutefois empêchée d’être honnête avec elle. Une crainte intérieure.
Au mois de janvier, je suis tombée enceinte. J’ai eu la peur de ma vie. Je ne me sentais pas encore prête et j’étais surtout terrorisée par l’idée de perdre mon emploi. J’étais proche d’une collègue qui essayait de tomber enceinte en secret parce qu’elle avait entendu dire que cette entreprise avait la réputation de supprimer les postes des femmes qui tombaient enceintes. Mes collègues de sexe féminin avaient toutes eu droit au même traitement discriminatoire que moi lors de l’entrevue d’embauche ou encore aux questions subtiles et empoisonnées dans la cuisine entre deux cafés. Il y avait véritablement une culture de crainte envers la maternité qui était maintenue par la direction.
Quand j’ai annoncé à ma superviseure directe que j’étais enceinte et que je n’étais pas encore certaine que j’allais garder le bébé, elle m’a rassurée que la patronne comprenait et me donnerait du temps pour réfléchir, en plus de respecter mon droit d’avoir quelques semaines de congé si jamais je mettais fin à ma grossesse.
Je n’ai pas eu le temps de prendre une décision. J’ai perdu le bébé. J’ai manqué une semaine de travail en tout. J’étais à la maison, dans un état épouvantable, quand je me suis rendu compte que mes employeurs avaient utilisé 16 heures de mes vacances accumulées pour combler une partie de mon absence d’une semaine. On m’a expliqué que si j’avais une semaine sans solde, j’allais également avoir deux semaines de vacances d’été et c’est sans parler des journées où je risquais de tomber malade. Trop de congés, ils ne pouvaient pas se permettre ça. Ils avaient besoin d’employés fiables.
Quand je suis revenue au bureau, j’ai compris que quelque chose avait changé. L’attitude de ma patronne n’était plus la même et je savais pourquoi. Moi qui jurais ne pas penser à la maternité, je l’avais trahie, déçue. J’étais désormais une wild card dans son jeu. Au lieu de montrer de l’empathie à mon égard, elle m’a lancé un « C’était pas voulu, hein, ta grossesse? ».
J’ai perdu des clients, des responsabilités et des tâches intéressantes progressivement au profit de mes autres collègues pendant les quatre mois qui ont suivi ma fausse-couche, et ils ont finalement supprimé mon poste un matin de juin, deux jours après mon retour de vacances. Avec du recul, c’est le meilleur cadeau qu’ils auraient pu me faire.
Avez-vous déjà vécu des situations de discrimination au travail en lien avec une grossesse ou votre sexe?