En lisant le livre Prenez le pouvoir – Message aux jeunes d’Hulo Guillabert, une activiste panafricaine et consultante internationale ayant plusieurs cordes à son arc, j’ai compris pourquoi, depuis fort longtemps, j’avais du mal avec le qualificatif « noir » pour désigner ma couleur de peau, ma personne.
Ouvrez votre dictionnaire et regardez ce que ce mot signifie ou ce à quoi il est souvent associé. Je vais vous citer quelques exemples tirés du Larousse :
- Qui est sans luminosité ; obscur, sombre
- Qui est sale, taché ou terni
- Qui marque ou manifeste le pessimisme, la tristesse, le malheur
- Inspiré par la perversité, la méchanceté
- Se dit d'une période marquée par quelque chose de très mauvais, de catastrophique
C'est bien sûr très subjectif. Beaucoup de personnes n'ont aucun malaise avec ce mot et je respecte cela.
Je ne me considère pas comme une personne de couleur « noire » comme un caucasien ne se considérerait pas comme un « blanc ». En tout cas, j’imagine. À moins que j’aie trop écouté Claude Nougaro chanter « Amstrong » – vous savez, cette adaptation à la française de Go down Moses que le chanteur a faite pour rendre hommage au musicien américain de jazz, Louis Armstrong, mais qui, au fond, veut ridiculiser le racisme et appeler à la tolérance, notamment avec son dernier couplet qui dit :
On n'est que des os…
Est-ce que les tiens seront noirs?
Ce serait rigolo
Allez Louis, alléluia!
Au-delà de nos oripeaux,
Noir et Blanc
Sont ressemblants
Comme deux gouttes d'eau »
Certains diront que cela ne mérite pas de s’insurger et d’autres affirmeront tout simplement que c’est de la victimisation. Mais il reste que, selon moi, ce mot peut-être péjoratif pour désigner ma couleur de peau, ma personne. Et ce ne sont pas mes pairs « noirs » qui me l’ont attribué, de surcroît!
« Nous avons pris l'habitude de nous désigner par des noms qui nous ont été donnés par des étrangers. Mais au fond de nous, qui sommes-nous? », dit Pierre Nillon, chercheur, écrivain, théologien et égyptologue.
« Noir » et « nègre » ont la même connotation discriminatoire et raciste quand on y pense. « Nègre » vient de l’espagnol « negro » qui signifie « noir ». Donc, quand on bannit « nègre » dans de nombreux langages courants, notamment en français et en anglais pour continuer d’utiliser le mot « noir », n’y a-t-il pas là un problème? Certaines personnes de mon entourage vont même jusqu’à me dire qu’elles préfèrent m’appeler « black », car c’est moins dépréciatif que « noir ». Et où se trouve la nuance dans tout ça? J’aimerais bien le savoir, moi!
Dans son livre qui est un éveil de conscience, Hulo nous exhorte à faire le bon choix dans les mots que nous utilisons « pour nous nommer et pour désigner nos maux! Car les mots font partie de l’arsenal dans toute guerre idéologique! »
Donc, je choisis de m’appeler et d’être appelée femme kamite.
Ce mot, c’est Cheikh Anta Diop, un historien, anthropologue, égyptologue et homme politique sénégalais connu pour avoir été le précurseur en ce qui a trait à l'importance et l'ancienneté de la place des Africains dans l'histoire qui l’a déterré. Kamite, Kemite, Kemitisme viennent du mot kam ou kem qui signifie « noir » dans la langue africaine ancienne du temps des pharaons. Mes ancêtres employaient ce dernier pour se qualifier eux-mêmes eu égard à leur couleur de peau. Kam ou kem équivaut à noir, mais…
Crédit : gladlaughingboy/Pixabay
Kamite a plusieurs significations pour celui qui décide de le porter comme nom. Toutefois, je ne vais retenir que celle-ci en ce qui me concerne : kamite est celui qui idéalise le fait de ressembler à ses ancêtres, des êtres non racistes exigeant le respect et respectueux envers les ancêtres des autres peuples qu’ils ont accueillis sur leurs terres pour vivre en harmonie, tous ensemble.
Comme dit Hulo dans son livre, il s’agit d’une « appellation de nous par nous et nous ne devons laisser personne en faire une insulte, même si une secte extrémiste noire a pu, un jour, s’en emparer, personne n’a le droit de nous dénier le droit de l’utiliser, c’est notre héritage! »
On m’a toujours dit, avec moquerie parfois, que j’étais « très foncée ». J’ai appris à affirmer ma fierté d’avoir la peau plus cramée, montrer mon militantisme et mon pouvoir, mais je ne suis nullement « noire » ou « black ».