J'aimerais tout d'abord commencer par une petite histoire qui, semble-t-il, pourrait passer comme une histoire sans fond. Une anecdote, en d'autres mots. Mais cette histoire, répétée à qui mieux-mieux, sur un fond quotidien, devient une histoire qui fait subsister la culture du viol dans notre société.
À la connaissance des derniers articles publiés sur Internet, j'ai pris la décision de sonder les collabos de TPL pour savoir quelle était leur histoire avec cette culture du viol. Ma boîte de réception bondée, j'ai vite compris qu'elle était loin d'être éradiquée. Qu'on commence à peine à en parler, c'est déjà un pas en avant. Mais reste encore à démythifier cette culture – à laquelle, rappelons-le, nous contribuons tous, hommes comme femmes – afin de la déconstruire.
Voici donc, pour commencer, une histoire récente :
J'ai passé la soirée avec mes meilleures amies. Nous avons joué avec du maquillage, nous avons tenté de créer les pires looks possible, nous nous sommes bidonnées avec les filtres de Snapchat, nous avons bu des rhum et jus d'ananas. Vers minuit, je décide qu'il est temps de rentrer parce que je travaille le lendemain matin. J'apporte le reste du jus d'ananas avec moi; le contenant en carton ne se ferme pas vraiment, je devrai l'apporter dans mes mains jusqu'à chez moi.
Je sors de la 139 et je me dirige vers la station Pie-IX. En descendant les marches, un jeune homme s'élance à mes côtés :
– T'aimes ça le jus d'ananas, hein? qu'il me dit.
– Hein?
– Ben oui, t'as du jus d'ananas dans les mains.
– Oui… que je réponds, sans vraiment comprendre.
Il hésite un peu, me regarde de la tête aux pieds. De mon côté, je pense juste à rentrer, j'ai la peau qui tire à force de m'être maquillée et démaquillée. Je veux être avec mon chum et mon chat, dans le confort de mon appartement.
– Tu connais le secret des ananas? demande-t-il en me sortant de ma rêverie.
– Pardon?
– Ben oui, le secret des ananas, c'est que si je mange beaucoup d'ananas et que j'te viens dans la gueule, mon sperme va goûter les ananas.
Je lance un gros « tabarnak, come on! », puis je me dirige vers le quai du métro. Je l'entends me dire au loin : « Quoi, tu veux pas que j'te vienne dans la gueule? Tu veux pas que ça goûte les ananas? », mais je ne l'écoute plus. Bientôt, il sera de l'autre côté du quai, dans le sens contraire à celui vers lequel je me dirige. Je sacre en dedans. Ça m'arrive tout le temps. J'écoute de la musique, huit minutes doivent s'écouler avant que le train m'amène vers l'ouest. Puis je sens un mouvement sur ma cuisse gauche. Je me retourne : le gars aux ananas est assis à mes côtés.
– T'as de la chance, qu'il dit, je débarque à la même station que toi!
– Mmm… tu sais pas où est-ce que je débarque…
– Ben, dans pas long, je vais le savoir!
Je pense à la station Préfontaine. À son parc, sous l'obscurité de la nuit. Au viaduc désert sous lequel je devrai marcher pour me rendre chez moi. « Esti, non » que je me dis, en me levant d'un bond. Je sors du métro pour attraper le réseau cellulaire et j'appelle mon chum : « Viens me chercher, s'il te plaît. J'ai peur. »
À suivre…