C'était un vendredi férié pis je le passais en mode boule. Ma bedaine écrasée contre l'ordinateur, le menton en bourrelets, j'écoutais le documentaire sur Janis Joplin – comme si j'avais besoin de ça.
Ça fait un moment que je me sens en parallèle de tout le reste. Peur d'embarquer sur la voie rapide. Pognée avec des émotions passées date, des sanglots random pis la colère comme un vomi de bile. J'ai atteint l'étape où les contours de ce qui me fait souffrir sont tellement flous, tellement poreux, tellement toute, que l'idée d'en parler me fatigue d'avance.
Janis meurt. Fondu au noir. Pis mon reflet dans l'écran. Crisse.
Je pitonne un peu. Mes doigts tâtonnent, cherchent une porte de sortie. Pis, out of nowhere de même, je mets mon nom sur la guestlist d'un club gai. Toute seule.
J'active la routine. Prendre une longue douche pour enlever les croûtes de solitude qui se sont aglutinées à ma peau. Choisir mon outfit pendant que mes cheveux sèchent. Prévoir mon maquillage en fonction des potentiels frenches que me réserve ma soirée. Noircir mes yeux. Je dois être féline, mystérieuse, androgyne, mais approchable quand même.
Je ne sors jamais toute seule. La seule idée d'attendre quelqu'un dans un lieu public trop longtemps me tétanise. Je m'imagine que tout le monde me regarde, qu'on me juge à ma manière maladroite de manger un muffin, de mes cheveux qui pognent mal dans le vent, de mes bourrelets mal dissimulés. J'ai beaucoup d'autodérision en groupe. Mais j'ai aussi beaucoup d'anxiété toute seule.
Je sillonne le Village. Ma démarche assurée est fake, mais elle apaise un peu mon stress. Marcher pour apprivoiser le vertige. Je cherche un endroit où me poser pour boire une bière. Un endroit comme j'en ai vu dans les films, où les gens sont seuls, mais avides de compagnie, rendus charismatiques et nonchalants à force de boisson. Je veux être cette personne absolument fierce et mémorable. Je veux me sentir suffisante à mon plaisir.
Le destin me mène dans un bar que je connais de mes années de cégep. Commande ma bière, pratique mes sourires. Je m'installe et j'habitue mes yeux à croiser des regards. Je suis nerveuse, mais heureuse. C'est moins effrayant que ce que je pensais.
Un garçon s'installe à ma table, utilise mon téléphone pour parler à son amie. Il glisse subtilement qu'il n'a pas d'argent. Je sais où ça s'en va. Heureusement, j'ai appris à me sortir de situations awkward sans trop de mal. Je sais m'enfuir. Termine ma bière, trouve une excuse, et quitte le bar.
La nuit est bien installée. Je fais mon chemin jusqu'au club. La musique est déjà forte dans les escaliers. I can do this. Il fait noir, ça me rassure. Coat check, cover, bière. J'écrase mon cul en périphérie du plancher de danse. La salle est toute nue, il est encore trop tôt. Une poignée de personnes dansent timidement. Il faut boire rapidement. Chasser la gêne avant qu'elle me gèle les os.
J'essaie de me rappeler un cours de performance au cégep. Danser dans le noir. Danser comme si personne ne regardait. C'est terrorisant, mais ça se surmonte. Heureusement, ce n'est pas moi qui ait à me regarder. Personne ici ne sait que je suis nerveuse et seule, et un peu malheureuse.
Je poursuis mon dialogue intérieur, je bois plus vite. Mes mains sont occupées. Une dans la poche, l'autre tient la bouteille. Ferme les yeux. Vas-y doucement. Fais les choses à ton rythme. Fais-toi confiance, fais-toi une fleur. Oublie les portes de sortie le temps d'une longue chanson.
Vois les lèvres, vois les jambes. Vois les mains danser au travers de la fumée des machines. Les corps luisants d'efforts, les bourgeons de caresses. Mes doigts se sont propagés dans ses cheveux mouillés. Son piercing contre mes dents. J'ai trouvé un sourire et je ne l'ai plus lâché.
Une amie est venue me rejoindre quand je ne l'attendais même plus. Soulagée de retrouver un visage familier, un regain d'énergie pour danser encore plus longtemps, pour rire plus fort. J'ai finalement perdu de vue mon autre amie, celle avec qui j'avais partagé un moment Britney Spears dans une cage. C'était correct. Je n'attendais pas autant de ma soirée.
Un taxi, un plat de pâtes au beurre, un verre d'eau. Mon lit s'est creusé pour m'accueillir. Épuisée et saturée d'images, mais repue. Une nuit pleine d'étoiles.
Le lendemain était bon du sentiment d'avoir ouvert une porte. Il est doux de se laisser éclore avant le printemps.