Jusqu’à tout récemment, je n’aurais pas cru pouvoir être atteinte d’un trouble de stress post-traumatique. Je m’imaginais que ça n’arrivait qu’aux autres. À ceux qui ont vécu la guerre, une catastrophe naturelle, un écrasement d’avion, ce genre de situation peu probable d’être vécu par une jeune Québécoise. J’avais tort.
En mars 2014, tout allait pour le mieux dans ma vie. Ma mère était enfin en rémission de son cancer. J’avais décidé de retourner aux études et j'avais été acceptée dans trois programmes universitaires. Mon copain, qui n’habitait pas la même ville que moi, venait de m’annoncer qu’il me rejoindrait l'été suivant. Je venais même de réserver mes premiers billets d’avion, j’allais partir seule pour la Nouvelle-Orléans deux semaines plus tard. J’étais heureuse, j’avais repris le contrôle de ma vie, j’étais fière de moi.
Un soir, épuisée par ma longue journée de travail, je me suis mise au lit avec mon repas, mon chat et Netflix comme compagnons de détente. Puis une vieille amie du secondaire, que je n’avais pas vue depuis plusieurs années, m’a écrit. Puisque nous habitions qu’à quelques minutes à pieds l’une de l’autre, elle m’a invité à aller la rejoindre. J’ai décidé de braver le froid et la fatigue, j’ai pris deux bières dans mon frigo et je me suis rendue chez elle.
Nous avons discuté un bon moment, bu notre bière respective, j’ai accepté un rhum and coke, mais c'est tout, puisque je travaillais tôt le lendemain matin. C’est là que mes souvenirs s’arrêtent.
Quand je me suis réveillée, j’étais chez moi. Je ne me souvenais pas être rentrée. Une crise de panique m’a pris d’assaut. Mon cellulaire n’était pas sur ma table de chevet, mon ordinateur laissé sur mon lit la veille n’était pas dans ma chambre. J’étais nue et ma couette était en boule au pied de mon lit. Je me suis levée, confuse, et du liquide a coulé entre mes jambes. Je venais de m’uriner dessus tellement la peur était puissante. Je n’avais jamais connu un sentiment semblable.
Je me suis habillée en vitesse et je me suis rendue chez mon amie. Lorsqu’elle m’a dit que je suis partie à pied, consciente et que mon cellulaire n’était pas chez elle, je me suis précipitée au poste de police. On m’a interrogé sur le champ. Je n’avais qu’un souvenir vague, celui d’être recroquevillée sur le plancher de ma cuisine pendant que quelqu’un se penche vers moi. Les policiers m’ont alors escorté chez moi.
Nous avons attendu que d’autres gens arrivent avant d’entrer. Lorsque j’ai ouvert la porte à plus d’une dizaine d’inconnus, j’étais plus confuse que jamais. J’étais dans la brume, déconnectée. J’avais l’impression d’être la spectatrice d’une scène d’un mauvais film policier. Ils ont installé des bannières jaunes à l’entrée. Mon chez-moi était maintenant une scène de crime. Les enquêteurs m’ont mené d’une pièce à l’autre de mon appartement, à la recherche de tout indice. J’ai dû faire un effort surhumain pour répondre à leur attente, celle de nommer tout ce qui était anormal, de remarquer tout ce qu’il manquait.
On m’avait pris mon ordi, mon cellulaire, mon appareil photo Reflex, mes cartes cadeaux reçues pour Noël. On avait pris le 900 $ que j’avais caché, si bien caché que je l’avais nécessairement donné volontairement, dans l’espoir que tout s’arrête. On avait même vidé mon réfrigérateur de son contenu. J’étais dans un état second quand on m’a tendu un téléphone.
À l’autre bout du fil, un sergent-détective de la section des agressions sexuelles m’expliquait comment se dérouleraient les heures suivantes. Il m’a aussi expliqué ce qui m’attendait par la suite, mais mon cerveau avait arrêté d’enregistrer l’information. Il s’était arrêté aux mots « agression sexuelle ».
J’étais assise par terre dans le couloir. J’ai réalisé qu’autour de moi, mes vêtements de la veille étaient éparpillés. Je n’avais pas uriné par terre, c’était le sperme de l’ombre noire qui s’était penchée vers moi la veille qui avait simplement coulé.
Alors que j’attendais l’urgentologue à la clinique pour victimes d’agression sexuelle de l’Hôtel-Dieu de Montréal, j’ai appelé au travail pour informer mes supérieurs. Ils n’y comprenaient rien quand je leur ai dit que je serais au boulot le lendemain. Ils avaient compris la gravité de la situation, contrairement à moi. J’ai même appelé ma tante, avec qui je devais aller voir le Lac des cygnes le soir même, pour lui dire que je ne rentrerais pas à temps pour aller au restaurant, mais que je serais libre pour la représentation.
Je me souviendrai toujours du regard de l’urgentologue, lorsqu’il m’a reconnu en entrant dans la salle d’examen. C’était mon médecin de famille. Pendant un bref instant, j’ai pris conscience de la situation. Je ne me serais jamais imaginé pleurer dans ses bras, juste avant un examen gynécologique. C’était le premier visage connu et rassurant que je croisais.
Quand je suis rentrée chez moi ce soir-là, tout était couvert d’une poudre blanche qui laissait voir les empreintes de mon agresseur. Il y en avait partout. Mes draps, ma couette, mes oreillers, mes vêtements étaient disparus, devenus des pièces à conviction. Pour dormir, il ne me restait plus que mon lit, dans lequel j’avais été violée.
Ce soir-là, je suis allée à la Place des arts avec ma tante. Ce n’est qu’au moment où toutes les lumières de la salle Wilfrid-Pelletier se sont éteintes que j’ai senti le poids des douze dernières heures s’écraser sur moi. Je n’ai pas vu le spectacle. J’ai dormi d’un sommeil profond, mais agité, j’ai fait le premier cauchemar d’une longue série.
Dans cette première partie, je tenais à présenter l’élément déclencheur de mon trouble de stress post-traumatique. Dans la seconde partie, je vous raconterai comment j’ai compris, un an et demi plus tard, que je souffrais d’un TSPT, les conséquences sur ma vie et comment je commence à m’en sortir, lentement mais sûrement.