Julie Artacho est photographe. On peut admirer son travail partout, notamment dans des magazines comme Clin d’œil, Châtelaine et ELLE Québec, où elle photographie les plus grands comme Jean Leloup, Macha Grenon, Ève Landry, Karim Ouellet et Ariane Moffatt. Sirène dans l’âme et poète dans le cœur, la prolifique jeune femme a publié la semaine dernière une série d’autoportraits nus sur le blogue This is better than porn. 48 heures, 450 partages, plus de 100 000 visites et 280 000 personnes atteintes sur Facebook plus tard, je tenais à la rencontrer pour parler de ce photoshoot qui a momentanément tué l’internet. Jeudi dernier, je lui ai donc donné rendez-vous au restaurant Le Toasteur. Au menu : deux oeufs bacon et une entrevue inspirante!
Alors, comment c’est de se promener dans la rue après que des milliers de personnes t’aient vu à poil?
« La factrice m’a fait un beau grand sourire ce matin! (rires) »
Pourquoi, ou pour qui, as-tu décidé de réaliser ce projet photo?
« Je l’ai fait pour les filles. C’est vraiment à elles que je m’adresse. J’ai toujours été ronde et ça m’a pris beaucoup de temps à m’accepter comme je suis. Je me suis longtemps demandé pourquoi j’étais incapable de me sentir à ma place. J’ai réalisé que j’avais grandi en la totale absence de modèle positif pour moi. Aucune femme célèbre ne me ressemblait. J’ai eu envie de donner aux filles comme moi un exemple de beauté ronde dans un contexte intime. Le monde refuse de nous voir comme sexuées, sexuelles ou désirables. En reprenant le contrôle sur mon image, j’essaie de prouver qu’on est non seulement toutes ces choses, mais qu’on y a aussi droit. »
Julie a raison. Dans les médias, la femme ronde est paresseuse ou grotesque, célibataire par dépit ou hyper-libidineuse et fétichisée. Elle est l’amie dont personne ne veut, la grosse méchante qui bully des sirènes du fond de la mer, la fille drôle-mais-pas-cute qui fait de l’humour physique ou la belle-mère evil. Elle n’est jamais, pour ainsi dire, juste la fille. Celle qu’on aime, qu’on courtise et qu’on présente à ses chums sans y penser à deux fois. Et ce qu’a voulu prouver Julie, c’est que c’est pas ça, la vie.
« Les filles rondes sont avant tout des personnes, des femmes. Elles ont une vie amoureuse normale, ne sont pas qu’un fétiche bizarre, ne sont pas « plus cochonnes » ou désespérées. Cette série photo est devenue un statement non pas parce qu’elle était présentée différemment de n’importe quelle autre série érotique mettant en scène deux amoureux, mais bien tout simplement parce que j’ai le corps que j’ai. J’espère, à force de montrer aux gens qu’il existe divers types de corps et qu’il n’y a rien de mal à ça, les désensibiliser. Je veux normaliser les physiques comme le mien. Mon corps n’a rien de choquant. On aime ou on n’aime pas, on est attiré ou non, mais mon corps a le droit d’exister, d’être aimé, caressé et désiré. Et il l’est. »
Si Julie était préparée à recevoir des tonnes de commentaires négatifs, de concern-trolling d’inconnus sous le couvert de l’anonymat et autres désagréables effets secondaires de l’internet, elle a plutôt été inondée de messages de support. Une belle surprise dans ce monde où son existence même est considérée comme de la provocation.
« Le commentaire que j’ai le plus reçu était "merci". Ça me touche plus que je ne saurais l’exprimer par des mots. »
TPL, vous le savez, fait la promotion de la diversité et de l’amour-propre. À ceux d’entre vous qui seraient tentés de commenter des trucs méchants, faut qu’on se parle.
Qu’une personne (peu importe son apparence) s’aime telle qu’elle est ne vous enlève rien du tout. Si vous êtes choqués, ce n’est pas sa responsabilité mais bien la vôtre. Si voir quelqu’un d’heureux vous offense, ça en dit beaucoup plus long sur vous que sur la personne sur laquelle vous projetez vos insécurités. Check yo’self. Un peu d’introspection, ça peut jamais nuire.
Qu’une femme ronde pose nue ne fait en rien la promotion de l’obésité. Accuserait-on une modèle handicapée de faire la promotion du handicap ou une modèle âgée de faire la promotion de la vieillesse? (Un hint : non. Parce que cet argument ne tient pas la route.)
La seule promotion que fait Julie, c’est celle de l’acceptation de soi et du courage de s’aimer (et de se laisser être aimé) comme on est. Sincèrement, qui peut être contre ça?
Parce que même si vous écrivez un commentaire désobligeant, que vous portez un jugement ou que vous ressentez une émotion négative à la vue de ces images, vous venez malgré tout de voir un corps différent de plus. Mine de rien, lentement mais surement, à grands coups de jolies photos et de discussions enflammées, on chemine vers un monde où le corps des autres ne sera plus considéré comme une pièce de viande d’intérêt public sur laquelle on se donne le droit d’émettre une opinion. Au-dessus de son smoothie, d’un air amusé, la photographe lance joyeusement ce conseil d’une sagesse infinie : « Fuck les commentaires. »
On est encore loin de la ligne d’arrivée, mais Julie Artacho n’a aucunement l’intention d’en rester là.
« Je vais continuer de parler de ça pendant longtemps, et de faire des projets qui parlent de ça. Jusqu’à temps que ça ne dérange plus personne. Jusqu’à temps qu’aucune personne n’ait honte de me (nous) trouver belle. Jusqu’à temps qu’on s’en câlisse. »
Pour voir toutes les photos : Mon ventre diamant sous tes mains brille fort
Pour voir le travail (extraordinaire) de Julie : www.coeurdartacho.com