L’année dernière, j’ai presque braillé au cinéma. Je venais de visionner le film Parasite, un film réalisé, tourné et joué par des Coréens. Un film qui jouait dans une salle nord-américaine qui n’était pas un amalgame de stéréotypes ou de clichés sur les Asiatiques. C’était rafraîchissant en maudit.
Plus tard dans l’année, le film a été nominé aux Oscars et a raflé pas seulement « Meilleur film étranger », mais aussi « Meilleur scénario original », « Meilleur réalisateur » et finalement « Meilleur film de l’année ».
Pour une rare fois de ma vie, j’ai vu que des individus ayant la même identité ethnique que moi ont pu percer dans un milieu aussi homogène que le domaine du cinéma. Qu’ils n’étaient pas aussi invisibles que ce que les préjugés occidentaux le suggéreraient.
Mes parents ont toujours répété que s’il y avait aussi peu d’Asiatiques au grand ou au petit écran, c’était que, s’il ne manque pas de personnes de notre groupe ayant du talent, ils n’avaient ni les bons contacts ni la bonne apparence pour avoir les bons rôles. Ils étaient alors condamnés à jouer des personnages unidimensionnels ou des caricatures comme les nerds scientifiques, les gérants de dépanneurs ou les karaté kids silencieux pour les hommes, et la sexy geisha, l’anime schoolgirl ou la ninja sulfureuse pour les femmes.
Il y a dix ans, je n’avais comme exemple au grand écran que l’actrice Lucy Liu, qui, dans Charlie’s Angels, était un personnage fort à qui on n’avait pas accolé tous les stéréotypes chinois. Autrement, je ne me souviens que de peu de personnages qui me ressemblaient ou auxquels je pouvais m’identifier lorsque j’étais plus jeune.
Viet Thanh Nguyen, un auteur vietnamien, disait dans un article du New York Times que les asiatiques sont actuellement dans une économie de pauvreté narrative ou « narrative scarcity », dans laquelle il y a un manque de personnages qui nous ressemblent. Dans ce contexte, il y a si peu d’exemples de diversité dans la culture populaire, que les personnages représentés sont voués à être la version déformée de la réalité créée par Hollywood. D’une autre part, la pauvreté narrative, c’est aussi être effacé ou oublié de l’imaginaire collectif.
La pauvreté narrative est l’opposé de la plénitude narrative ou « narrative plenitude », un concept développé par l’auteur, où l’individu a l’impression que la plupart des histoires le représentent ou qu’au moins une de ses caractéristiques fondamentales est représentée dans les histoires auxquelles il est exposé. La plénitude narrative est un privilège des personnes occidentales où elles ont un échantillon suffisamment grand de personnages complexes, humains et multidimensionnels pour sentir qu’elles n’ont pas à se battre pour raconter leur histoire.
Pour en revenir à la fois où j’ai presque braillé au cinéma, j’avais eu un semblant de plénitude narrative. J’ai vu une histoire bien ficelée, sans aucun préjugé envers les personnes de la communauté asiatique, avec des personnages humains qui me ressemblaient.
De fait, tellement de groupes de la diversité sont également en pauvreté narrative, et mériteraient tout autant d’être représentés dans les médias plutôt que d’être effacés. Je pense au whitewashing, un phénomène, où des acteurs blancs jouent des rôles de personnes de couleur, décrié maintes fois dans l’actualité les dernières années (ex : la pièce Kanata par Robert Lepage ou le film The Great Wall dans lequel Matt Damon joue le personnage principal ), voire les derniers mois (ex : la controverse récente sur la série Escouade 99).
Au final, même s’il ne s’agit que d’une seule histoire où on se sent représenté, je peux vous assurer que cette histoire a un poids énorme, et ce, peu importe la minorité représentée. Et ça, j’espère que les industries artistiques vont le comprendre un jour.