Depuis le 17 mars dernier, mes yeux sont rivés sur mon écran de manière quasi obsessionnelle, sur les sites de nouvelles, avides de trouver un sens ou un dénouement à cette pandémie qui m’a pris mon emploi d’ergothérapeute dans le secteur privé. À la minute où j’ai vu que le gouvernement a créé la plateforme Je Contribue pour recruter des travailleurs de la santé prêts à s’engager dans notre système public en crise, j’ai immédiatement donné mon nom. J’avais sincèrement hâte qu’on m’appelle et de m’investir pour la communauté. Je n’avais aucune crainte ni incertitude. Étant jeune et en santé, je me sentais toute-puissante avec un soupçon de syndrome du sauveur.
Les jours se sont écoulés avant qu’on me contacte. Entre temps, des nouvelles sinistres dans l’actualité sont apparues en lien avec les conditions de vie dans les centres d’hébergement et de soins de longue durée (CHSLD). Les éclosions incessantes de COVID-19, entraînant un effet domino de transmissions. Le manque criant de personnel. L’absence d’équipement de protection nécessaire. Le contact incessant avec la mortalité.
Les témoignages déchirants des préposées aux bénéficiaires et des infirmières ont subitement refroidi mon désir d’aider. C’est ainsi que c’est au moment où je doutais le plus de mon envie d’aider que j’ai reçu un appel qui m’offrait d’aider dans les CHSLD comme préposée dans une région « chaude », c’est-à-dire où l’on retrouve le plus de cas de contagion. Ironiquement, après ces semaines où j’ai attendu avec impatience cet appel du réseau public, j’ai finalement hésité à prendre le poste.
Alors que quelque milliers de travailleurs de la santé sont infectés et continuent d’être infectés, est-ce que j’étais prête à me mettre à risque? Et encore, de mettre mon foyer à risque? Et puis, si ce n’est pas moi qui me sacrifie, qui d’autre va le faire?
De fait, j’ai senti qu’il était égoïste de prioriser mes besoins plutôt que ceux de la société. J’ai eu honte de vouloir déserter au moment où le système de santé était le plus fragile. J’ai pensé à tous ces aînés survivant dans des conditions exécrables, privés de dignité aux derniers millages de leurs vies.
Mais en même temps, j’avais peur. Les travailleurs de la santé étant de plus en plus rares, les ratios personnel-résidents ne faisaient qu’augmenter. N’ayant jamais travaillé en CHLSD, je me demandais si j’allais avoir la formation et l’aide nécessaires, sans compter les équipements adéquats. Je ne voulais pas être un numéro passant dans les portes tournantes des CHSLD. Être une travailleuse dépersonnifiée, disposable, qui n’avait pour rôle que de patcher temporairement les besoins du réseau dans des conditions de travail déplorables avant de tomber, puis d’être remplacée par le prochain volontaire.
En fin de compte, je me suis désistée. Défaite, je me suis résignée au fait que je voulais aider, mais pas de manière inconditionnelle. Pas aux dépens de ma vie. Pas en raison de notre système de santé décharné suite à des années d’austérité et de coupures.
Je me dis que je contribue autrement, en m’isolant et en me distançant avec précaution. En faisant des achats auprès de commerces locaux. Et me lavant les mains constamment. Au final, c’est la moindre des choses, mais j’espère que ça fait une petite différence.