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Journal passif-agressif d’une technicienne en pharmacie
Crédit: Unsplash

« Bonjour, Annie Nonyme au laboratoire, comment puis-je vous aider aujourd’hui? »

« 514-555-5555. Rosuvastatin pis Celebrex. »

« Euh… Bonjour. Oui je vais bien, c’est gentil de demander et de ne me pas me prendre pour un robot, ouais. »

L’incompréhension…

Cher journal, je te dis que ce n’est pas toujours facile d’être technicienne en pharmacie. Bien sûr, je sais que tout le monde dit sûrement souvent la même chose de sa job. Mais parfois, j’ai l’impression que ce n’est pas du nombrilisme de ma part de vraiment croire qu’il n’y a pas grand monde qui comprend ce que je fais dans la vie. Et l’incompréhension, ça alimente assurément l’impatience des patients, et par conséquent, nos moments plus difficiles au travail.

Pourtant, comme tant de professions liées au domaine de la santé (et du service à la clientèle), on veut tellement juste aider. C’est sûr que la santé, c’est un sujet tellement sensible pour beaucoup de personnes…

« Bonjour, j’ai une nouvelle prescription. »

« Bonjour! J’aurais besoin de votre carte d’assurance maladie, s’il vous plait.»

« POURQUOI TU VEUX MA CARTE? JE VIENS ICI DEPUIS 25 ANS, ON M’A JAMAIS DEMANDÉ ÇA. T’AS PAS D’AFFAIRE À ME DEMANDER MA CARTE. PIS À PART DE ÇA, J’AI UNE ASSURANCE PRIVÉE. M’A TE DONNER MON NUMÉRO DE TÉLÉPHONE, J’AI UN DOSSIER ICITTE! »

L’hostilité…

Cher journal, pourquoi, pourquoi, est-ce qu’il y a systématiquement tant d’hostilité envers nous, qui souhaitons seulement confirmer l’identité d’une personne? Oui, monsieur, vous venez ici depuis 25 ans. Ça ne change pas le fait que je ne connais pas votre date de naissance ou vos allergies, que votre médecin n’a pas inscrites sur la prescription. Comprenez-vous que je dois seulement m’assurer de donner le bon médicament à la bonne personne? À la clinique, à l’hôpital  ou au CLSC, ça va de soi, la carte d’assurance maladie. Pourquoi pas à la pharmacie?

Le vol d’identité n’existe pas juste chez Desjardins, mon bon monsieur. Pis, cette belle carte soleil (si vous n’avez pas encore renouvelé la vôtre pour la carte terne), ça demeure une pièce d’identité avant d’être une prestation d’assurance universelle. Comprenez-vous, monsieur, que j’ai un travail à faire, et que c’est de vous rendre service, et pas de vous faire suer? Merci.

« J’aimerais parler au pharmacien, j’ai juste une petite question.»

« Bien sûr, madame, je vais prendre votre nom, le pharmacien va vous appeler dès qu’il se libère. Je vous dirais qu’il y a environ un délai de 10 minutes.»

« 10 MINUTES pour voir le pharmacien?! Mais j’ai juste une petite question, ça va prendre 30 secondes. Ok, ben, toi, peux-tu me dire c’est quoi le meilleur sirop pour la toux, je tousse des gros mottons. »

L’impatience…

Cher journal, j’adore travailler à la pharmacie parce que c’est un travail tellement dynamique, enrichissant et méticuleux. Les pharmaciens sont les professionnels de la santé les plus accessibles au Québec! Pour aucuns frais, ils peuvent renseigner sur des milliers de sujets médicaux, car ils ont une expertise sur les médicaments et les maladies, et accès à des bases de données répertoriant effets secondaires, statistiques, durées de traitement, etc.

Venez les voir, vos pharmaciens! Mais soyez patient.e, Dieu du ciel. Ça n’existe pas « une petite question ». Pour bien faire son travail, le pharmacien devra vous poser diverses questions pour s’assurer de vous conseiller un traitement adéquat pour votre âge, votre sexe, votre état de santé, votre état reproductif. Il se fera un plaisir de le faire après avoir servi les clients qui sont arrivés avant vous, qui ont attendu (im)patiemment leur tour.

Il se fera un plaisir de le faire après avoir répondu au téléphone a un médecin qui devait prescrire verbalement un traitement d’urgence à l’un de ses patients. Quant à moi, vous comprendrez que j’aimerais beaucoup vous aider dans l’immédiat. Mais je suis une technicienne. J’ai plein de connaissances, plein de savoir-faire, mais je n’ai pas les qualifications légales pour vous dire quel est le meilleur sirop pour vous. J’aimerais vous aider, mais je n’ai pas le DROIT. Je peux lire l’emballage avec vous, si vous voulez de la compagnie. Anytime.

«Bonjour, j’aimerais renouveler ma pilule contraceptive.»

« Avec plaisir, je dois vous aviser toutefois que j’ai cinq patients qui attendent devant vous, il y aura un délai d’au moins 20 minutes.»

« Mais c’est juste une boite, t’as juste à coller l’étiquette dessus et c’est fini, c’est quoi l’affaire? »

On fait ce qu’on peut avec ce qu’on a…

La pharmacie, ce n’est PAS un service d’urgence. C’est une chaîne de travail hyper organisée. Dans les labs les mieux organisés que j’ai vus, chaque employé est attitré à un poste précis, a ses tâches précises et n’en déroge pas. Chaque employé est un engrenage et le pharmacien est la porte de sortie de tout ce qui peut transiter par l’entrée, que ce soit petit, moyen ou gros.

Il y a des pharmacies où il y a un pharmacien en service, parfois deux, ou plus. Moi, madame, je vous annonce que j’ai UNE fantastique et compétente pharmacienne en service. Elle va s’assurer que nous, les techs, on a bien fait notre job en renouvelant ou en créant votre prescription, qu’on a compté la bonne quantité du bon médicament, qu’on vous sert la bonne compagnie, la bonne teneur, pour la bonne durée, et que tout ce qu’il y a à votre dossier est compatible ensemble, et avec votre condition de santé (oui, oui, je vous apprends que, par expérience, beaucoup de médecins laissent cette enquête entre les mains du pharmacien).

Si vous saviez combien de fois le pharmacien doit refuser de servir un traitement prescrit, car il ne convient pas à la situation clinique du patient… Si vous saviez comment notre temps de travail est rallongé par les médecins qui omettent d’écrire lisiblement ou d’inscrire leur licence, leur signature, la quantité à servir, ou tout simplement, de prescrire un médicament qui existe…

Je suis désolée de vous apprendre que si quelqu’un est venu deux minutes avant vous pour renouveler ses 20 médicaments, il n’y a pas 36 solutions. Si cette personne a décidé d’attendre pour sa commande, vous devrez aussi patienter, parce que si on passe toutes les petites commandes avant la sienne, on ne la fera jamais, sa commande. Premier arrivé, premier servi, c’est pas mal la règle de base en pharmacie.

Ceci étant dit, je parlais de chaîne de travail. Eh bien, habituellement, il y a une chaîne rapide pour les petites commandes et une chaîne complexe par laquelle transitent les grosses commandes et les prescriptions faxées par les médecins (qui entrent sans cesse, tsé). Ah, pis, y’a le maudit téléphone qui sonne chaque minute. Y’a les patients qui arrivent à l’accueil, à la caisse, pour payer, pour ramasser leur commande préparée d’avance. Et ceux qui commandent par Internet ou par le système téléphonique automatisé. On fait ce qu’on peut pour aller le plus rapidement possible tout en servant tout le monde avec professionnalisme et courtoisie, croyez-moi. Mais on a juste deux bras, deux mains, une bouche. Et un pharmacien, par qui tout doit passer.

 

Un peu de patience, s’il vous plaît!

Cher journal. Au fond, comme pour toutes les professions liées au service à la clientèle, tout est une question d’humanité. Je regarde la caissière à l’épicerie qui se fait traiter comme un fantôme sans âme à longueur de journée, la fille au Tim Hortons qui prend les commandes auto et sert les clients en même temps.

Patience et empathie, people. On travaille debout et on court d’un bord et de l’autre pendant 8 heures de temps. On n’a parfois pas le temps/droit de prendre nos pauses/ heures de dîner. Mais, une fois de temps en temps, y’a heureusement cette madame qui nous dira : « Pas de presse! M’en va me promener dans les rangées en attendant. » Patience et empathie.  Merci.

 

P.S. Tous les comptoirs de pharmacie ne fonctionnent pas de la même façon. Je parle exclusivement de mon expérience. J’ai eu la chance d’atterrir dans des pharmacies très bien gérées avec des équipes formidables et professionnelles. En tant que cliente dans d’autres pharmacies, j’ai moi-même vécu des situations très désagréables et manquant atrocement de professionnalisme. Comme à l’épicerie, à la banque, au restaurant, au bar, à l’école, au magasin… Les généralisations ne mènent nulle part. Je voudrais juste qu’on fasse preuve de patience et de civisme, des deux côtés du comptoir.

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