D'aussi loin que je ne me souvienne, j'ai toujours eu des difficultés sévères avec la nourriture. Elles ne sont pas reliées à un souci de l'image corporelle, mais plutôt à ma crainte constante de manger de nouveaux aliments. Pendant longtemps, si on mettait devant moi un repas que je n'avais jamais mangé avant, c'était la catastrophe.
La littérature parle de TCARÉ (trouble du comportement alimentaire restrictif ou évitant) ou de néophobie alimentaire. La rigidité alimentaire (mon cas), décrit plus spécifiquement une condition associée au spectre de l'autisme. Peu de textes sont consacrés aux adultes, et détaillent davantage le problème vécu par les enfants et les adolescent.es.
C'est quelque chose de difficile à expliquer aux autres lorsqu'ils ne vivent pas ce problème.
Mon cerveau tente de traiter une série d'informations qu'il ne reconnaît pas, et qu'il semble considérer comme un corps étranger. Un mélange de nouvelles saveurs peut me bouleverser jusqu'à me rendre très mal à l'aise. Si l'on rajoute à cela le fait de devoir manger en compagnie de plusieurs personnes tout en tentant de suivre les conversations autour d'une table en plus de subir parfois du jugement, cela devient vite anxiogène (surtout si c'est chez les parents de ton chum pour la première fois).
J'ai reçu des commentaires dégradants et une réputation de « fille gâtée » m'a collée à la peau. Moi-même j'ai fini par croire que j'étais simplement capricieuse malgré ma détresse de ne pas pouvoir manger ce que l'on me servait.
Lorsque je mange un nouveau plat, c'est comme si je devais acquérir une nouvelle compétence, débloquer quelque chose. Un peu comme lorsqu'on débloque des personnages ou des événements dans un jeu vidéo. C'est de l’adaptation, mais aussi la mise en place de petites stratégies pour que je puisse varier un peu mes repas.
Je fais d'abord des recherches à propos du nouvel aliment que je souhaite ajouter à mon « répertoire ». Ça peut être à n'importe quel niveau! Je regarde des galeries d'images, des recettes et même des pages Wikipédia. L'important c'est de bien me préparer.
Ensuite, je vérifie où je peux me procurer l'aliment, de préférence déjà préparé, puis je trouve un endroit confortable pour le manger seule et prendre tout mon temps. Je répète l'expérience de temps en temps. Ensuite j'essaie de nouvelles variations du plat, je propose à un.e ami.e d'en manger avec moi… j'essaie de manger dans plusieurs contextes.
Lorsque je suis capable de manger le repas au complet en compagnie de plusieurs personnes sans que ça ne me prenne trop de temps, je considère que je peux maintenant en manger sans problème dans l'avenir. Cela emmène donc son lot de petites victoires. Ma plus récente étant la découverte du shish taouk.
Bien sûr, cela ne marche pas toujours! Je reste quand même un humain avec des préférences. L'idéal pour moi reste d'avoir une routine alimentaire. De plus, il arrive toujours malgré tout des moments où je dois goûter à des repas sans m'être préparée. Je peux manger dans ce genre de circonstances, mais c'est très très long et souvent je ne peux pas finir mon assiette.
Des trucs comme se faire répéter « Tu ne sais pas ce que tu manques! » ou encore « mmmmmmmmmmmh c'est booooon (avec le léchage de babines en prime), il est temps de le dire: cela ne marche pas! Avoir un trouble alimentaire n'est pas un simple refus de se nourrir ni un caprice. C'est quelque chose qui demande beaucoup d'énergie à la personne qui le vit et ça ne se règle pas du jour au lendemain! Une parole ou un geste dégradant à propos de sa condition et tout peut être à recommencer!
J'aimerais un jour pouvoir dire simplement que je fais de la rigidité alimentaire (et bien d'autres choses!) sans que ça ne soit un problème.