J’avais 21 ans. Je me préparais sans le savoir à vivre l’hiver de ma vie.
Cet été-là, je travaillais comme préposée à l’entretien pour un site historique national. En gros, je repeignais les bâtiments historiques, je faisais le ménage, je tondais le gazon et je nettoyais les véhicules. Je suis adroite et méticuleuse, alors mon supérieur m’a rapidement affectée aux tâches de peinture, peu prisées du reste de l’équipe. Je travaillais donc en compagnie du peintre-chef, un homme très sympathique qui malgré son métier salissant, n’avait jamais de taches de peinture sur lui (c’est toujours un mystère pour moi).
Le peintre, dont la jeunesse envolée pétillait encore dans son regard.
Quelques semaines sur l’île ont suffi pour nous apprivoiser, lui, homme basané à la parole brute, et moi, petite femme pensive et assoiffée. Entre nous est né quelque chose de très beau, entre une amitié passagère et un lien père-fille. Quelque chose d’à la fois fugace et éternel, une amitié dorée comme l’aube, fraîche comme la rosée de juin.
Je vivais en ce temps-là des tensions dans mon couple, des doutes sur ma vie professionnelle, des problèmes familiaux et j’avais 20 $ dans mon compte en banque. Je n’en parlais jamais, mais les yeux tristes ne mentent pas. Le peintre avait cette étonnante faculté de dire ou de faire la bonne chose au bon moment. Peut-être voyait-il les traces de larmes séchées sur mon visage ou entendait-il les échos amers de mon rire. Toujours en est-il que durant nos nombreuses et longues conversations, il disait toujours quelque chose qui me faisait du bien. Quelque chose que je gravais dans mon cœur pour y penser plus tard.
Aucun sujet n’était tabou. Politique, guerre, religion, complots, bêtise humaine, blessures, argent, parents, enfants, amour : nous parlions de tout. C’était un homme d’expérience qui en avait long à dire. J’adorais lui poser des questions sur ses aventures de jeunesse et sur les vieilles anecdotes entourant les travailleurs du site. Ah! les fous rires que nous avions lorsqu’il racontait les coups pendables qu’ils se faisaient entre collègues, les surnoms qui en affublaient certains, les potins croustillants et les souvenirs encore vivants. Le peintre me parlait de ses anciens amours, de ses premières jobs, de sa petite famille, de ses rêves.
C’était l’été de mes 21 ans, l’été qui fut l’automne de l’hiver de ma vie. Le dernier jour de travail, le peintre est la dernière personne à qui j’ai dit au revoir. J’avais une grosse boule dans la gorge. Naïve, je m’envolais pour un nouveau travail, sans connaître les réalités de la vie d’adulte et les montagnes que j’allais escalader.
Cette amitié reste l’un de mes plus chers souvenirs. Chaque moment était parfait, unique, doré, inoubliable. Quand la journée a été difficile, je revois ces moments comme un film en boucle dans ma tête. J’entends les rires et les chansons que nous avons partagés. Et tout à coup, les nuages de ma journée s’enfuient.