Elle est ici, elle est là, elle est partout.
Elle est dans ma tête dès que j'ouvre les yeux le matin, me martelant de ses réprimandes sans censure, teintées de son avanie habituelle. Elle est dans mes yeux lorsque je vois une photo ou une vidéo de moi, dans mes oreilles lorsque j'entends le son de ma voix et dans les « désolée » ou encore les « excuse-moi » que je lâche à la tonne.
Je sors de mon lit et déjà, elle m'alourdit le pas et m'affaisse les épaules. Je regarde mon corps, qui est bien trop disgracieux pour que j'accepte qu'il soit mien, puis affiche une expression dégoûtée.
Quant au déjeuner, il n'y a aucune issue : soit je mange et elle me rappelle à quel point je suis dégoûtante pour cela, soit je ne mange pas et elle m'assaille de toutes les injures possibles, me laissant savoir que je ne serai jamais capable de guérir de cet ignoble trouble alimentaire.
En public, c'est atroce. Tous autour semblent mieux que moi : des jeunes au regard pétillant de vie, des professionnels capables de mener une carrière sans se noyer dans l'anxiété des exigences et du rendement, des personnes âgées satisfaites de leur vie productive et remplie de petits bonheurs. Je me sens seule ; je me sens incapable.
Je ne suis cependant pas réellement seule. Je ne le suis jamais, du moins, du plus loin que je puisse me rappeler. Elle est toujours là, la haine de soi. Elle est forte, ô si forte. D'une puissance telle qu'elle macule mes bras de cicatrices, qu'elle transforme mes 95% en « tu aurais pu faire mieux ». Elle me salit, m'entache l'âme sans trêve, de sorte que je ressemble à une fresque de couleurs ne s'agençant pas ensemble. Parfois, elle me fait dormir à terre, juste à côté de mon lit, parce que « je ne mérite pas le confort d'un matelas ».
Ah, la haine de soi…!
Elle est ici, elle est là, elle est partout. Elle est à moi et à tous.
Elle souille le visage de tant de personnes, les pousse à aller se défoncer au gym et à se beurrer le visage du produit de beauté dernier cri. Elle crie son message à travers les campagnes publicitaires occidentales si fort que nos enfants en attrapent inconsciemment des bribes.
Elle est ici, elle est là, elle est partout.
Quand je vais me coucher, le soir, même si je sais que demain j'entendrai la même rengaine, je lui chuchote un gros fuck you.