Plus jeune, je pensais que pour réussir dans la vie (lire, devenir aisé.e financièrement, mener des projets à terme, etc.), il fallait être stupide. Évidemment, je ne le pense plus, mais dans ma compréhension du monde limitée, j'associais mon intelligence avec ma neurodivergence et ma difficulté à réaliser des projets.
Les gens qui réussissent sont des gens d'action et non de réflexion, je l'apprends dans mes cours de gestion. Maintenant je comprends que l'un n'empêche pas l'autre, en partie parce que dans les dernières années, j'ai fait la connaissance de plusieurs personnes neurodivergentes dont j'admire aussi bien les réalisations que l'intelligence (allô les jumelles et plusieurs collaboratrices), mais aussi parce que j'ai compris que c'est ma neurodivergence qui m'empêchait de même envisager la capacité à être une personne d'action. Je pensais donc, en raison de mon anxiété, du syndrome de l'imposteur ainsi qu'en raison de plusieurs autres schémas de pensées négatifs et principalement causés par la misogynie de notre société, que les gens qui réussissent ne réfléchissent pas. Car dès que l'on se met à penser, on perd la motivation, n'est-ce pas?
Pourtant non, ce n'est apparemment pas le cas pour tout le monde, je m'en suis rendu compte. Bien que j'aie eu le diagnostic de TDAH depuis mon enfance, le lien a pris bien des années à se faire avec la motivation et le fait que ce sont les distractions (manque de concentration) qui m'empêchaient de réaliser quoi que ce soit.
On justifie son mode de vie comme on peut hein, et à force de me faire accuser d'être paresseuse, j'en suis venue à défendre mon intégrité en disant que je suis simplement une personne de réflexion, une personne d'idées plutôt qu'une personne de réalisation. Cette étiquette me faisait tout de même violence, considérant mon ambition jamais assouvie. Je combattais donc tous les jours cette pensée que je n'étais tout simplement pas capable. Ces guerres mentales, ces batailles d'identités, je me les livrais à moi-même en silence, avec comme marques visibles les fois où je cédais à l'un ou l'autre côté et que je laissais tout tomber pour recommencer une nouvelle vie de A à Z. Cette façon d'exister m'était très lourde et me déprimait. J'attribuais ensuite mon manque de motivation à la dépression, ou j'essayais de me trouver une explication (comme la bipolarité) sans me douter que la réponse se trouvait déjà entre mes mains.
Un cercle vicieux que je n'arrivais jamais à briser, du moins avant maintenant, car cette semaine j'ai reparlé à mon médecin en lui faisant part de mon désir à essayer la médication pour le TDAH, et il m'a expliqué ce qu'était ma condition. Que mon cerveau ne produit pas suffisamment de dopamine. C'est tout. Je suis incapable d'aller faire l'épicerie sans y aller avec quelqu'un d'autre pour me forcer? Dopamine. Je ne fais pas mes devoirs parce que dès que j'arrive chez moi je suis incapable de faire quoi que ce soit? Dopamine. That's it.
C'est tellement simple que ça me fâche. Les gens qui ne doivent pas faire d'efforts pour les tâches de tous les jours l'ont tellement plus facile. Ils n'ont pas à se battre contre eux-mêmes pour survivre, ce qui leur laisse toute leur énergie pour se concentrer sur leurs cours, leur travail, leurs projets, etc. Et ils ne réalisent même pas ce privilège, tout ce qu'ils ont toujours trouvé à me dire, c'est que je devais simplement vouloir. Ils me diagnostiquaient de la paresse, de l'incompétence, un manque de volonté, alors que pour eux, il n'y a même pas de question à se poser… Il suffit de vouloir et pouf!, ils le font. C'est pourquoi ils ne pouvaient même pas envisager à quel point, pour les personnes comme moi, réaliser quoi que ce soit demandait énormément de ressources. Les personnes neurotypiques ne sont donc pas nécessairement plus des personnes d'action, elles ont simplement moins d'entraves sur leur chemin, ce qui rend l'action plus facile à faire.
Bref, récemment, j'ai commencé de la médication pour la première fois de ma vie. La dose est encore trop petite pour faire une réelle différence, mais lors de la première journée, je l'ai ressentie un peu. Cette concentration que je croyais impossible, cette efficacité libérée de mes habituelles distractions. Cette journée-là, j'ai fait du ménage pendant six heures non-stop, sans tomber dans la lune pendant 30min assise sur mon lit alors que je pliais du linge, sans aller sur Facebook pour m'embarquer dans des débats qui me prendraient trop de mon temps, sans commencer à lire de vieux journaux intimes alors que je les replaçais… bref, cette journée-là, j'ai goûté à la neurotypie pour la première fois de ma vie, et je peux vous dire que ce fut un goût doux-amer. Doux, pour la satisfaction d'enfin savoir ce que c'est d'être fonctionnelle sans entrave; et amer pour la pointe de colère envers les personnes neurotypiques pour qui tout ça n'est même pas une question, et qui nous marginalisent sans cesse en nous étiquetant de lâches et en nous disant de « simplement changer », comme si nous avions le moindre contrôle sur les molécules chimiques que notre cerveau produit (ou ne produit pas).
Tout de même, il y a une certaine fierté à savoir que j'ai réussi à mener une vie relativement normale tout en ayant à y mettre plus d'effort que la majorité des gens. Une certaine fierté, mais aussi beaucoup d'espoir pour l'avenir, puisque je vois enfin la lumière au bout du tunnel et la possibilité de cesser de combattre. Je vais pouvoir me réaliser, et être la personne qui, au fond, j'ai toujours été. Libérée de mes entraves paralysantes, je pourrai enfin cesser de pédaler dans l'eau pour respirer et commencer à enfin nager pour me rendre quelque part. Watch out, j'ai hâte!