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« Ce n’est qu’une parenthèse »
Crédit: Evan Kirby/Unsplash

Pour lire la première partie, c'est ici.

Nous venions tout juste d’ouvrir nos coeurs (même si j’avais pris soin de ne pas prononcer les mots inenvisageables qui feraient dans ma tête basculer ma vie rangée), et nos mains ne se quittaient plus. À un moment de la conversation, nous nous regardions avec intensité et S** m’a demandé si elle pouvait m’embrasser. J’en mourrais d’envie et j’ai évidemment accepté. Ce fut merveilleux. Je ne peux décrire avec des mots le bonheur que j’ai ressenti à ce moment précis, mais je peux dire qu’il était inversement proportionnel à la peur qui me rongeait. Tout me plaisait chez elle! Mais ce qui en d’autres circonstances, eût été un enchantement (je venais de rencontrer une personne exceptionnelle, et nos sentiments étaient réciproques) était une séance de torture. Je n’étais pas libre du tout!

Je venais, pour la première fois en 14 ans de vie commune, de mentir à mon compagnon. Le week-end qui a suivi, j’étais rongée par la culpabilité. Impossible pourtant de regretter la magnifique soirée passée avec S**. Pour moi, je n’avais rien fait de mal et j’avais été honnête avec mes sentiments. Des sentiments purs et beaux, en somme de l’amour qui ne disait pas encore son nom. J’avais menti à mon mari pour le protéger d’une souffrance inutile, puisque dans tous les cas j’étais convaincue que mes batifolages n’étaient qu’une parenthèse sans conséquence sur mon couple. Ce qui se passait avec elle ne regardait que moi. À partir de maintenant, c’était ce que je m’efforcerais à me répéter, la ligne de pensée que je maintiendrais,  pour pouvoir « tenir ».

En arrivant au boulot le lundi suivant, j’étais fermement décidée à « me contrôler ». Je pensais sincèrement en être capable. J’avais dans l’idée que je pourrais faire la part des choses : pouvoir profiter d’une ambiance de travail plus qu’agréable, aux côtés d’une personne que j’appréciais particulièrement et avec qui je ne m’interdirais pas de passer quelques soirées pour m’amuser un peu… tout en conservant la sécurité et le confort de ma vie de femme, casée, en couple hétérosexuel. J’en faisais part à S*** qui était exactement sur la même longueur d’onde que moi : de son côté, elle ne voulait pas d’une relation sérieuse, elle n’avait aucune intention de chambouler sa vie, et encore moins la mienne. Il n’était pas question que je quitte mon mari, ni même qu’il ait connaissance de ce qui se passait entre elle et moi. Elle disait respecter mon couple et je savais que c’était sincère. Nous étions toutes les deux persuadées que nous allions « gérer » (c’est exactement le mot que l’on employait) ces sentiments très plaisants : prendre du bon temps, puis retourner, une fois le feu éteint, à nos vies respectives. Ni l’une ni l’autre n’avait l’intention de renoncer à ses habitudes, et c’était très bien ainsi. Mais comme on avait entrouvert la porte à quelque chose d'irrésistible, autant voir là où ça nous mènerait, « sans se prendre la tête ».

Et c’est emplies de ces voeux pieux, que nous nous engouffrions dans un tourbillon incontrôlable. Là où ça nous a menées, dans un premier temps, ça a été à céder à notre attirance physique. Ça se passait à l’endroit où l’on se voyait tous les jours, sur notre lieu de travail. Ce n’est certes pas très glorieux, mais tout était prétexte pour se retrouver seules : une réunion improvisée, un enregistrement, une pause (qui se prolongeait parfois et finissait dans les douches de l’entreprise)… On était toujours les dernières à quitter le bureau, à attendre qu’ils se vident et que les lumières s’éteignent. Auprès de mon mari, je prétextais les trucs classiques du conjoint adultère : charge de travail et pression de ma hiérarchie justifiaient mes absences et la distance que je mettais entre lui et moi. On ne pense jamais endosser ce rôle-là un jour. Surtout pas moi, la femme fidèle et aimante. Surtout pas lui, pour qui j’avais un amour et un respect profond. Le cliché de la tromperie avec la stagiaire et tous ces mensonges bas de gamme, ça n’arrive qu’aux autres!

Je n’étais pas fière. C’est le moins qu’on puisse dire. Malgré la culpabilité qui me rongeait, je continuais à vivre mon histoire avec S***. J’avais mis en place toute une batterie de barrières psychologiques pour tenir, pour que ce soit vivable, pour que je puisse vivre avec cette imposture sans trop m’en vouloir.  

Je le trompais, c’était terrible, mais je ne pouvais désormais plus faire marche arrière. Nous étions deux aimants, incapables de tenir dans une même pièce sans se regarder ou s’effleurer. La journée, la situation était devenue hors de contrôle. Notre amour irradiait. Malgré nos efforts pour réprimer les gestes ostentatoires, nous nous dévorions du regard, nous tentions de faire passer des marques d’affection pour de l’amitié, mais nous étions les seules dupes. Au travail, notre relation était un secret de polichinelle. Le soir, nous nous retrouvions dans des bars, et malgré la présence d’amis autour de nous, il n’y avait que nous deux.  

Un soir, entre deux baisers, enivrée devant le bar bondé, j’ai fini par lui dire. J’ai prononcé les mots qui font peur. Je lui ai dit que j’étais amoureuse d’elle. Elle me l’a dit en retour. Nous étions sur un petit nuage. Et au-dessus de ce nuage, l’orage s’annonçait déjà.

 

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