Je suis française et je vis au Canada depuis quatre ans maintenant. Nous sommes plus qu’heureux de vivre à Montréal et nous avons entamé une belle vie ici. Mais, malgré tous les bons côtés de la belle Province, j’ai toujours ressenti un petit vide. Ce vide, c’est le manque de ma famille et de mes amis.
Et puis, le 13 octobre 2015, mon vide s’est creusé. Profondément. J’ai reçu un coup de fil de ma mère, celui que je redoutais le plus : mon père, à 58 ans, a fait un AVC, le plus violent qui soit. Les chirurgiens ont fait un travail extraordinaire et, après une nuit d’opération, il a survécu, bien abîmé, la parole en moins, mais il est là, bien vivant.
Quand c’est arrivé, j’ai tout quitté et j’ai sauté dans un avion pour rejoindre mes parents. Assommée, ne comprenant pas bien ce qui arrivait, j’ai dit au revoir à mon copain, le regard vide.
Arrivée sur place, j’ai presque couru dans les couloirs de l’hôpital. Je me suis dirigée vers une chambre sinistre et décrépie, le cœur battant, et j’ai aperçu à l’angle de la porte mon vieux père, le regard flou, fatigué, mais plein de joie de revoir sa fille. En le voyant dans cet état, totalement déconnecté de la réalité, je voulais vomir, hurler, pleurer… Mais je n’ai rien fait. J’ai pris mon père dans mes bras et j’ai tout gardé pour moi, la gorge serrée à m’en sentir étranglée.
Les trois mois suivants, j’ai mis ma vie entre parenthèses et je me suis occupée de lui au quotidien. Je l’ai aidé à retrouver mon nom, à écrire son âge, son adresse. Il ne savait plus rien. C’est drôle, les rôles s’inversaient. Celui qui m’avait tout appris venait de prendre le large. Il était loin. En quelle année sommes-nous? Il ne savait pas. Qui étais-je pour lui? Il ne savait pas. La seule chose qu’il savait c’est qu’il m’aimait très fort. Et ça, ça me donnait espoir. Aujourd’hui, il progresse doucement, il retrouve les mots et reprend des forces tout petit à petit. Il ne pourra plus travailler ni conduire, alors il cultive son jardin.
On oublie souvent les dommages collatéraux que causent ces accidents de la vie. Je pense aussi à ma mère. Elle a été tout autant affectée que mon père dans cette histoire. Du jour au lendemain, elle a perdu tout repère, le pilier de sa vie s’est effondré.
Elle a su garder son sang-froid quand elle est arrivée chez elle et qu’elle a vu les pompiers secourir son mari. Elle est restée forte alors qu’il semblait mourir devant ses yeux, faisant des signes d’adieu dans ce foutu camion. Elle a lutté pour obtenir toutes les informations nécessaires à l’hôpital, s’est battue pour obtenir les meilleurs soins, les meilleurs médecins. Elle a soutenu mon père à bout de bras et elle le fait encore aujourd’hui. Elle est présente chaque seconde, la tête froide. Elle l’a sauvé en quelque sorte. Ce qui est sûr, c’est que mon père ne serait plus là sans elle.
Ces trois mois passés avec eux m’ont fait réaliser combien je les aime, mais aussi combien ils sont fragiles.
Aujourd’hui la vie reprend son cours. La tempête est derrière nous, mais, même si nous réalisons la chance que nous avons que mon père soit encore là, il y a encore des vagues violentes et des tonnes de choses à faire. Moi j’ai repris ma vie montréalaise, j’ai retrouvé mon copain avec un peu moins de légèreté. Mais ma maman, elle lutte toujours.