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J’ai 35 ans et deux amies en moins
Crédit: CC0 License/Pexel

Quand j'avais 13 ans, la vie à la maison n'était pas toujours facile, mais j'imagine que chaque famille à ses défis. À cet âge, l'amitié c'est une chose assez centrale dans notre petit univers et s'en faire priver c'est LA FIN DU MONDE. Quand mes parents me punissaient pour quelque chose et que j'avais interdiction de voir mes amies, c'était pire que toutes les autres privations. On m'aurait privé de sommeil et j'aurais probablement mieux réagi.

Mon amie Veronik, quand j'avais 13 ans, c'était mon phare au milieu de ma mer houleuse. On n'était pas du même bord à l'école, mais on s'en foutait parce qu'à la maison, les week-ends, c'était seulement elle et moi. On se retrouvait chez elle ou chez moi et j'avais l'impression que seule elle pouvait me comprendre. Que seulement devant elle, je pouvais danser comme s’il n’y avait plus de lendemain et qu’elle ne me jugerait pas. Que seule elle me trouvait sérieusement géniale. C'était ma meilleure amie, rien de moins.

Le 21 mars 1995, le monde a viré upside down. J’ai vu pour la première fois à quoi ressemblaient mes plus profondes noirceurs. Même si c’était pas joyeux chez nous, en tant qu’enfant ou adolescente, j’arrivais toujours à voir le soleil et être heureuse. Sauf qu’en mars 1995, j’ai senti que la terre a arrêté de tourner. En tout cas mon monde s’est arrêté le temps des quelques soubresauts de mon coeur.

J’étais anéantie.

C’est aussi le moment ou il y a eu une grosse rupture dans ma foi spirituelle. J’étais en colère contre la vie, le monde, le reste des êtres humains. TOUTE. Tout me rendait tellement triste parce que plus rien n’avait de sens sans Elle.

Et on est allés la porter en terre après une cérémonie avec une église pleine à craquer de jeunes qui étaient sous le choc. Quelques ami.e.s et la famille sont allés mettre le plus beau et le plus lumineux des cercueils dans un trou sombre qu’on a fermé à jamais. Je me rappelle vivement de ce moment, il y a 23 ans. Je l’ai regardé une dernière fois, la peau toute cirée d’avoir été trop embaumée. Nous n’avions que 13 ans. Je lui ai promis de vivre chaque parcelle de temps pour nous deux. J’aurais tant aimé la voir devenir une femme. Quelle carrière aurait-elle choisie? Serait-elle mère? Aurait-on fait des voyages ensemble?

Après Elle. J’ai dû reconstruire mon petit monde, à l’aube de l’adolescence, ce moment si difficile. Je me suis sentie seule souvent, même entourée de plein de gens, parce qu’elle n’y était pas. Toutes les amies que je me suis faites pendant l’adolescence, je les ai comparées à Elle. Elle a laissé un trou dans ce petit coeur qui se construisait et bien qu’il soit beaucoup plus fort, ce coeur va toujours porter la marque de son départ. J’aurai toujours ce souvenir qu'une meilleure amie, ça peut partir à n’importe quel moment!

Et en 2014, l’histoire s’est répétée. Moi qui ai eu si peur de nouer de nouveaux liens avec d’autres filles, marquée par ce départ un peu trop précoce, me voilà à nouveau face à la mort d’une bonne amie. Cette mort, on a pu l’anticiper et tenter de vivre les derniers moments, si on peut dire. Cette amie, Annick, nous a quittés à l’âge de 44 ans après un combat de longue haleine pendant plus de 8 ans contre le cancer.

Ç’a été rough. J’ai pas eu tout le temps que j’aurais voulu avec elle, parce qu’on pensait toujours qu’on avait plus de temps et parce qu’on a eu des désaccords. J’ai été très confrontée à mes propres valeurs à l’aube de sa mort. J’ai dû apprendre à respecter les choix d’une amie de vivre ses derniers moments comme bon lui semblait. Sans juger. On a perdu beaucoup de temps à s’obstiner, à se bouder. Je regrette, mais définitivement, la vie fait les choses comme elle l’entend.  

J’ai 35 ans et la vie m’a enlevé déjà deux amies. Et presque une autre, mais ça c’est une autre histoire.

Ma façon de nouer des liens avec d’autres femmes a nécessairement été entachée par ces durs départs. J’ai du mal à m’attacher et m’abandonner, parce que j’ai expérimenté les fins abruptes. Ça fait tellement mal. J’ai peur de le revivre encore et encore. Pourtant je sais que ça arrivera parce que c’est la vie, mais je pensais sincèrement que j’allais avoir des rides et beaucoup plus de cheveux blancs quand je commencerais à compter sur mes doigts les amies qui aujourd’hui me manquent tant.

À mes amies actuelles, je m’excuse de ne pas être capable de dénouer complètement ces noeuds qui m’habitent. Je m’excuse d’être toujours un peu au large, de peur de m’accrocher le pied à vos ports. Je m’excuse de ne pas vous texter hystériquement quand j’ai un bouton ou un poil incarné pour avoir vos conseils et de plutôt choisir Google. J’ai peur. J’ai peur de tomber tellement deep pour vous. Je sais que j’appelle pas souvent, mais sachez que quand je vous vois, je me rappelle combien bon ça goûte d’avoir une amie à qui tout raconter et avec qui le jugement prend le bord. Vous me faites du bien. Vous n’êtes pas nombreuses, mais je vous aime profondément, même si je fais comme si je n’avais besoin de personne.

Sachez-le.

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