J’ai 15 ans. Je suis en secondaire 4.
Je marche sur le trottoir.
Deux gars passent à côté de moi.
Me crient « t’es ben grosse toi ».
Je dis rien.
Je veux disparaître.
« Je le sais, les gars, je le sais que je suis grosse, pas belle, que mon corps vaut pas grand-chose pis que vous voudrez jamais de moi ».
Je me dis ça dans ma tête.
Je pense juste à maigrir.
Pas juste depuis cette journée-là.
Depuis ben avant et encore longtemps après.
Je suis drôle, sensible, intelligente, forte, gentille, aimable, douce.
Mais je ne suis pas mince.
Pis ma tête et mon coeur valent rien parce que le corps qui les tient est laid.
« Si au moins t’avais la volonté de maigrir, Elizabeth. T’es même pas capable de faire ça. »
Je suis grosse, paresseuse et c’est de ma faute.
250 livres qui sautent à pieds joints sur mon estime pour s’assurer qu’elle étouffe.
Si, cette semaine, j’avais encore eu 15 ans, j’aurais vu le preview d’Insatiable.
Ça m’aurait fait tellement de peine.
Pour juste une autre journée dans ma vie,
je me serais sentie dégueulasse.
Cette histoire, je l’ai entendue mille fois.
J’aurais ouvert le journal.
Il m’aurait donné raison.
Dans la vraie vie, les filles obèses n’attirent pas les gars.
La grossophobie n’existe pas, c’est juste une lubie qui sert à la gloire de l’estime de soi.
Faque les gars, ils ne m’ont jamais crié gratuitement que j’étais grosse.
Ils l’ont fait pour mon bien, pour ma santé et, surtout, pour s’assurer de partir à la course avec les miettes d’estime que j’avais laissé traîner.
Il aura fallu 30 ans pour que je comprenne que je n’avais pas à me laisser faire.
Que j’ai le droit d’exister comme je suis.
Que c’est eux qui n’ont pas le droit de m’imposer de changer juste pour éviter d’être confrontés à ce qui leur fait peur.
Il y a bien longtemps que j’ai abandonné l’idée de faire changer Hollywood-Netflix-Durocher-Bock-Coté d’avis.
Jamais,
PLUS JAMAIS,
Je ne vais laisser tomber la grosse Elizabeth de 15 ans – pis surtout tous les autres – qui eux, veulent juste vivre.
Vivre en santé (ben oui, ça se peut), dans leur corps et leur tête,
vivre soignés humainement,
vivre habillés comme tout le monde,
vivre amoureux,
vivre dignes.
On sera plein de gros et grosses fiers,
le ciel pourra tomber sur nous, on le retiendra à bout de coeurs,
pour continuer d’être gros.sses et beaux et belles tout partout.
Je suis grosse, guerrière, vivante, et je suis là pour ça.