J’étais au travail quand c’est arrivé.
Je ne pensais jamais que ça ne m’arriverait. On se dit toujours que ça n’arrive qu’aux autres, que nous, on est chanceuse, on n'attire pas ce genre de choses. On se dit qu’on est dans un milieu public, avec plein de gens qu’on connaît.
Je ne m’en doutais tellement pas.
Mon emploi fait en sorte que je suis la première qui accueille les gens lorsqu’ils entrent dans le magasin. Je suis la première personne qu’ils voient, et c’est ma job de saluer tous ceux et celles qui entrent.
Des commentaires d’hommes beaucoup plus âgés que moi sur mon physique, j’en ai eu. Certains passaient mieux que d’autres. Certains commentaires me rendaient carrément mal à l’aise, mais j’avais toujours mon comptoir qui me séparait d’eux. Alors j’avalais ma salive et je passais à autre chose.
Jusqu’au jour où je n’étais pas derrière mon comptoir.
Je faisais mon travail dans une allée. J’avais mon chariot derrière moi. Je faisais du ménage. Rien de plus banal.
Un homme entre. Je le salue, comme je salue tout le monde. Il chante. Je ne m’en fais pas.
Je continue de faire mon ménage, mais j’entends le chant se rapprocher. Je lève les yeux, et il est devant moi. Grand, bâti, costaud, et une quarantaine d’années plus vieux. Je lui demande si je peux l’aider. Il se met à me complimenter, à me demander j'ai quel âge, à commenter notre écart d’âge, à dire que c’est dommage que je sois si jeune, parce que sinon, il se serait essayé.
Je suis mal. Vraiment mal. Je veux qu’il parte. Je veux partir. J’essaie de retourner à ma tâche pour qu’il comprenne le message et s’en aille, mais je me sens prise au piège entre mon chariot et lui. Je prie pour qu’il s’en aille.
Il me prend soudainement par la taille et me colle sur lui. Il prend mes bras pour que je les mette autour de lui. Il me fait la bise. Je ne le connais pas, je ne l’ai jamais vu de ma vie. Je tente de me tasser, il est plus fort que moi, alors je reste immobile dans ses bras, ma poitrine contre son ventre, à prier pour qu’un.e de mes collègues passe dans le coin. Ou un client. Mais personne ne vient. La Terre semble arrêter de tourner, le temps semble s’arrêter. Je suis uniquement consciente de mon corps, pressé contre le sien, et de ses mains lourdes sur moi.
Il finit par s’en aller.
Je suis restée immobile plusieurs minutes. J’essayais de comprendre ce qui venait de m’arriver. J’étais écœurée, dégoûtée, et surtout j’essayais de me convaincre que ce qui venait d’arriver, ce n’était pas si grave. J’ai eu une nouvelle cliente, et je suis passée à autre chose.
Mais lorsque que mon shift s’est terminé, que j’étais dans la salle des employé.e.s avec mes collègues et que je me suis décidée à leur raconter ce qui s’était passé, leur réaction m’a ramenée sur terre. Elles étaient scandalisées, me disaient que ça n’avait pas de bon sens, et surtout, me demandaient pourquoi je ne l’avais pas frappé, poussé, ou pourquoi je n’avais rien dit, pourquoi je n’avais pas crié.
Et honnêtement, je ne sais pas pourquoi. Je ne sais pas pourquoi je suis restée immobile. J’étais tellement fâchée contre moi après coup, voire honteuse, je me disais que c’était de ma faute, qu’il avait pris ma passivité comme du consentement. En racontant cette histoire à mon entourage, j’ai pleuré, ce à quoi je ne m’attendais pas. J’ai réalisé que j’étais fortement troublée par ce qui m’était arrivé.
Je me suis rendu compte de ma vulnérabilité, de ma fragilité, je me suis rendu compte que j’avais eu peur, mais peur.
Dorénavant, lorsque je retourne travailler, ça me trotte constamment dans la tête. Lorsqu’un homme entre dans la pharmacie, je lui dis bonjour froidement, tandis que je dis bonjour chaleureusement aux femmes. Je ne fais pas exprès, et pourtant, je sais que certains clients sont très gentils, mais je ne peux pas m’en empêcher. Je me place toujours derrière mon comptoir. J’ai peur. Cette peur est ancrée en moi maintenant.
Et ça n’a pas de bon sens que mon premier réflexe, après cet incident, ait été de dire que c’est de la faute de mon uniforme, qui est fait de façon relativement moulante, ce qui laisse paraître ma forte poitrine. C’est de ma faute, je ne me suis pas assez défendue. C’est de ma faute, j’ai sûrement une attitude trop invitante.
C’est une amie qui m’a dit : « Daph, ça me fâche que tu parles de ton uniforme. On s’en fout de ton uniforme. C’est lui qui était dans le tort, et lui seul. »
On est en 2018, mais crime on a encore du chemin à faire. Je ne peux pas être à mon travail et dans un milieu public sans craindre qu’on me harcèle ou m'agresse.
Y’est plus que temps que ça change.
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