Célibataire et velue, ou une histoire d’acceptation corporelle au temps des Tinder dates
Roxane NoëlQuand j’étais au secondaire, j’étais très complexée par ma pilosité. J’ai commencé à me raser les jambes plus tard que la plupart des filles de mon âge, et je me souviens très bien de l’horreur que j’ai ressentie en réalisant que mes jeunes jambes poilues étaient « inacceptables », que je devais y faire quelque chose. Je me rappelle de toutes les fois où je sortais dehors en été en pantalons longs même si je mourais de chaleur juste parce que j’étais trop complexée, ou des fois où j’exhibais mes jambes fraîchement rasées pour réaliser avec effroi que j’avais oublié quelques repousses à mon passage.
Il y a environ 6 ans, j’ai cessé de raser mes jambes. J’ai réalisé que, chaque fois que je le faisais, c’était dans une perspective de peur et de honte. Que c’était une corvée déplaisante et que, même si j’aimais le sentiment d’avoir les jambes fraîchement rasées, ce sentiment ne valait pas le temps que ça me prenait, et ne durait pas assez longtemps avant l’apparition de repousses inconfortables. J’ai réalisé que, même si j’essayais de me convaincre du contraire, je ne faisais pas ce choix « pour moi », mais bien parce que je me sentais jugée par les autres. J’ai donc décidé d’arrêter de le faire.
Je suis à l’aise avec mon corps et je pense qu’il s’agissait du meilleur choix pour moi. Au début, je remarquais les gens qui fixaient mes jambes de manière éhontée, maintenant je ne remarque presque plus. Cependant, c’est mon premier été de célibat depuis 4 ans et demie, et je réalise que mon travail de déconstruction des normes de genre est loin d’être terminé. Je me suis surprise à me demander si je ne devrais pas me raser les jambes, à penser à ma pilosité et à la barrière qu’elle pouvait constituer dans mes rapports de séduction, voire à être nerveuse de montrer mes jambes à de nouveaux partenaires. Jusqu’à maintenant, aucun commentaire ne m’a été fait en pleine face, mais je sais que ça en rebute certain.e.s, et je ne peux m’empêcher de remarquer toutes les railleries qui sont faites à propos des « féministes poilues ».
C’est vraiment en arrêtant de me raser les jambes que j’ai pleinement réalisé à quel point on ne peut jamais dire que se raser ou non est un choix « libre » : peut-on parler de choix libre quand autant de forces extérieures à nous nous poussent vers l’une de ces options? Aussi, il est important de souligner que ce choix n’est pas aussi accessible pour tout le monde. Je suis blanche, mince, j’ai une pilosité relativement faible, et je suis cis. Si ce choix est difficile à faire pour moi, je n’imagine même pas comment il peut l’être pour des personnes dont la réalité est différente de la mienne, et à quel point la répression envers leurs corps peut être violente.
J’ai décidé de tenir bon et de laisser mes jambes telles qu’elles, comme je les aime, même si c’est difficile. Et à chaque jour, je trouve que ça devient plus facile, donc c’est encourageant. Ce que je nous souhaite, c’est qu’on en vienne à pouvoir faire un choix réellement libre et sans contrainte, que chaque personne puisse décider pour son corps sans que sur ce choix ne plane l’ombre des conséquences de la désobéissance aux normes de beauté. Heureusement, il y a des initiatives (comme Maipoils) qui tentent de démystifier la chose, et je pense qu’on en parle de plus en plus. Mais tant qu’une option sera disproportionnellement plus « coûteuse » que l’autre, je ne pense pas que les conditions pour réellement avoir la liberté de choisir soient remplies.