Les pièces de finissant.e.s des écoles de théâtre pleuvent en ce mois de mai. Souvent basées sur des classiques comme Shakespeare ou un.e auteur.e plus edgy, il est rare de voir de véritables créations de la part des élèves. Néanmoins, ce fut le cas avec la pièce Gros Père, adaptée du texte de la talentueuse Mélodie Bujold, finissant.e en jeu à l’UQAM, dont l’un des textes a été choisi pour la 7e édition de Porte-Voix.
Gros Père, c’est l’histoire d’un père bipolaire amorphe au fond de son lit dont la fille, Zoé, tente tant bien que mal de prendre soin, en lavant ses dessous de bras au bicarbonate de soude et en le protégeant du monde extérieur. Zoé est une fille introvertie et observatrice, qui économise ses mots. Elle voit son quotidien chamboulé par le retard inhabituel du livreur de médicaments de la pharmacie. Petit à petit, une bande de femmes s’invite chez elle, avec pour mission principale de guérir le suicidaire, soit Gros Père. Josée est une femme-enfant qui fuit la chaos de sa maison en construisant sa propre famille, Carmen est une femme d’âge mûr qui n’a pas la langue dans sa poche et qui cherche désespérément à combler le vide de la mort de son chat étouffé sous sa pile de vêtements griffés, et Salomé, la cousine espiègle de Zoé, revend des comprimés de clonazepam et est indifférente à la violence. Mais tout ça, c’est surtout un prétexte pour vivre leur solitude ensemble et pour apprendre à s’apprécier en détruisant les barrières que sont les étiquettes qui les séparent, pour former une véritable gang girl power.
Ce qui m’a frappée surtout dans cette équipe de feu, ce sont les femmes qui la composent. Tout d’abord, il s’agit d’une co-mise en scène de Judith Chartier et Véronique De Petrillo, avec un casting composé presque exclusivement de femmes (sauf Gros Père joué par Hubert Rivest), idem pour l’équipe technique. Le fond comme la forme de la pièce porte un message féministe, et c’est une lueur d’espoir.
Une esthétique 90’s semble embrasser le costume des personnages, notamment avec le denim, le fard à paupières bleu et les talons hauts rose néon. On y voit un décor plutôt minimaliste et serviable à l’équipe, qui déplace sans cesse les objets, illustrant l’instabilité du personnage masculin passant du down au high. Aussi, l’équipe a pris soin de placer des modèles réduits de voitures partout sur la scène, symbolisant l’impulsivité d’achat lors de la phase maniaque du trouble bipolaire, ajoutant une couche de réalisme à la maladie.
Les acteur.trice.s ont su rendre justice aux personnages imaginé.e.s par Mélodie Bujold. Mention spéciale à Charlotte Bisonnette-Reichold, interprète de l’excentrique Carmen et habillée avec un kit en suède à la Juicy Couture, qui a fait décrocher la mâchoire à toute l’audience. Les répliques assassines du personnage de Salomé, avec son look digne de la série Buffy The Vampire Slayer, étaient les épines d’une rose rendues efficacement par la comédienne Juliette Ouimet. La justesse et précision d’Ariane Trépanier en une Josée qui s’empiffre de biscuits Monsieur Christie apportaient un certain réconfort entre les propos suicidaires de Gros Père.
Le seul hic est le manque de rythme de la pièce. Le début est lent et mécanique, donc la salle prend du temps à s’imbiber de l’atmosphère. On ouvre avec les acteur.trice.s qui semblent lire un texte plutôt que de le vivre. Ensuite, le milieu est rapide, découpé en des tableaux magnifiques et soulignés par des effets sonores kitsch mais efficaces, qui hypnotisent le public. La fin est comme une rallonge, qui aurait bénéficié de moins de silence et davantage de dynamisme pour capter l’attention des spectateur.trice.s.Les répliques entre les personnages manquaient par moment d’entrain et de naturel. Certains moments plus comiques sont tombés à l’eau en raison de l’absence de rapidité et de dynamisme.
Enfin, l’autodérision permet d’alléger le thème central de la pièce, soit le suicide, tout en embrassant une réalité parfois lourde à porter en société. Les troubles mentaux n’ont pas fini d’être dépeints et démystifiés, puisque trop longtemps entretenus par des tropes caricaturaux à l’écran. Un tabou porté par une voix à la langue crue sans tomber dans la vulgarité, des mots remplis de vérité traversant la salle durant une heure et demie, qui nous laissent amusé.e.s et secoué.e.s à la fois.
Gros Père
2 au 4 mai 2018 à 20 h 00
4 et 5 mai 2018 à 14 h 00
*4 mai à 14 h 00 il y aura une discussion avec le public après la représentation
Studio-théâtre Alfred-Laliberté
UQAM, Pavillon Judith-Jasmin
1400 rue Berri, Montréal
Métro Berri-Uqam