Avec chaque printemps qui commence, inévitablement, me vient l’envie de brûler ce qui restait de l’hiver, de préparer un terreau fertile pour les choses à venir. Cette année, j’avais beaucoup de choses à brûler, l’envie était forte, impérieuse. Je ne savais pas trop ce qu’il me fallait, à part qu’il fallait que je parte, un moment, peu importe où en fait, tant que c’était un peu loin.
Et là, juste comme je pensais à ça, une occasion inespérée est tombée dans ma boîte de courriels. Je ne suis pas vraiment quelqu’un qui croit aux « signes », dans la vie, mais s’il en existe, c’en était un : contre toute attente, j’avais été sélectionnée pour aller passer une entrevue pour une prestigieuse bourse à l’université de Cambridge, en Angleterre. L’entrevue était dans deux semaines, et je pouvais soit la faire via Skype, soit y aller en personne.
Le lendemain matin, j’étais en file pour renouveler mon passeport et, en après-midi, chez une amie, j’ai acheté mes billets d’avion. Je partais donc pour Londres dans deux semaines, et outre l’entrevue, je n’avais absolument aucune idée de ce que je voudrais voir et d’où j’irais. J’ai savouré le vertige et j’ai essayé de ne pas trop aller souvent voir mon compte en banque, histoire de vivre le rêve à fond.
Puis, j’ai dû entamer mes préparatifs. Après tout, j’allais là-bas pour une opportunité incroyable, et je ne devais pas rater ma chance. Il me fallait préparer cette entrevue, mais le fait de m’y présenter en personne me donnait confiance. Ça me donnait l’impression d’aller rencontrer mon destin, quelque chose comme ça. Des fois, pour commencer à y croire, il faut agir comme si on y croyait, même si dans les faits le sentiment de confiance n’est pas là.
J’ai donc imprimé deux pages de points-clés pour mon entrevue, choisi un outfit approprié, et je me suis ensuite concentrée sur le reste. Acheter mes billets de train pour aller de Londres à Cambridge. Trouver un endroit où dormir à Londres sans me ruiner. Essayer de comprendre comment marchait le transport là-bas et cerner quelques choses que j’aimerais voir pendant mon séjour à Londres. Tout est allé très vite. En un clin d’œil, je me suis ramassée, sans avoir eu le temps de comprendre ce qui m’arrivait, à l’aéroport Pierre-Elliot Trudeau un vendredi soir du mois de mars.
Je suis arrivée à Londres exténuée, j’ai passé deux heures aux douanes sans avoir dormi de la nuit, j’ai dû gérer des problèmes de carte de crédit, mais j’ai miraculeusement réussi à me rendre à mon AirBnB, à récupérer des forces. J’ai pu explorer Londres, savourer un avant-goût de ce qui m’attendait, mais à peine : deux jours plus tard, j’étais dans le train vers Cambridge.
J’ai rôdé dans les rues médiévales jusqu’à en avoir les pieds recouverts d’ampoules, avant de m’écrouler dans mon lit. Être émerveillée, c’est épuisant. J’ai passé mon entrevue. J’ai dit, advienne que pourra, et je suis retournée attendre les résultats à Londres.
Ma vie était entre parenthèses, je sentais que j’étais dans cet espace entre deux chapitres de ma vie, un espace riche en possibilités, no strings attached. Alors je me suis mise à dire « oui » très très souvent.
J’ai vu des vestiges de civilisations anciennes, des œuvres d’art magnifiques, j’ai dansé jusqu’aux petites heures du matin, j’ai mangé les best déjeuners de hangover avec mon hôte absolument génial, j’ai écouté la boxe avec un enthousiasme nouveau, goûté un gin tonic à la betterave, j’ai assisté à un souper de Pâques familial, rencontré de nouvelles amies, fait des bêtises. Beaucoup de bêtises, mais la bonne sorte. Une juxtaposition insensée des choses les plus incroyables et des choses les plus banales.
J’ai aussi swipé un peu sur Tinder, mais j’avais vraiment envie que ce séjour-là m’appartienne, qu’il soit à propos de moi, et j’étais trop contente de me retrouver pour me lancer dans une game de séduction où je devrais moduler l’image que je renvoie. Ça, c’est le moment quétaine où je vous dis que j’étais partie loin pour mieux me retrouver, et que ça a fonctionné.
Finalement, j’ai eu des nouvelles de mon entrevue le jour de mon retour, après être arrivée chez moi. Comme il se doit, parce que du début à la fin, bien sûr, il fallait que tout tombe parfaitement en place. Mon entrevue a été couronnée de succès et j’ai obtenu la bourse en question.
Maintenant, j’ai mille choses à faire pour m’assurer que ce rêve se concrétisera, mille étapes bureaucratiques, mais dans les moments où toute cette démarche me semble aliénante, je me rappelle le sentiment de liberté, le sentiment de m’abandonner au destin, et je me dis que tout ça a sa juste place dans mon parcours.
Partir au Royaume-Uni était probablement une de mes meilleures décisions impulsives. Mais, dans mon expérience, toutes les meilleures décisions le sont.