Jusqu’à un âge assez avancé, j’ai cru que l’université était obligatoire. Que c’était le chemin que tout le monde avait ou aurait à emprunter. Primaire, secondaire, cégep, université, job. C’était beau, simple, rassurant.
Mes parents voulaient le mieux pour moi et ce mieux se trouvait certainement au bout d’une sacro-sainte éducation supérieure. J’y ai cru. On est une gang à y avoir cru, je pense. Les Y, une génération de fin d’alphabet qui était destinés à mieux que la stabilité plate de leurs parents. Une maison à 25 ans, une job qui nous attend les bras ouverts, des assurances, une voiture, plus que deux semaines de vacances payées, etc. C’étaient les signes d’une vie monotone.
Il fut un temps où ces notions m’horripilaient, mais me v’là rendue à baver d’envie devant une assurance dentaire pis un CELI. Je rêve d’une vie que mes parents ne croyaient pas assez bien pour moi. On méritait mieux, on méritait plus. Une génération de flocons de neige. Une gang d’uniques qui croit encore à leur exception, alors qu’ils sont en train de fondre en slush brune.
Maintenant, on a fini l’université, mais le dernier maillon de la joyeuse chaîne que je m’étais imaginée étant jeune fait un fuck you à notre banc de neige de surdoués. On se rend vite compte que notre diplôme servira pas à grand-chose de plus que d’orner notre mur de salon DIY Pinterest. On est une bande de désorientés qui se demande encore il est où leur happy ending. Pas celui des salons de massages là, l’autre.
Se résoudre à accepter une vie de passage, une vie à attendre, à espérer du mieux. Quelle vie pouvons-nous espérer à travers cette société qui ne fait que nous donner l’illusion d’avoir le choix? Ma génération a trop été assommée à coups de » make your wishes come true » et de » reach for the stars », qu’il ne reste qu’une poignée de grands enfants qui fantasment malgré eux devant les 15 minutes de gloire et les succès éphémères qui défilent sur les planches de La Voix.
On a oublié de nous apprendre à rêver dans le carcan du possible. Personne ne nous a enseigné à nous contenter du normal, de l’ordinaire que seraient sans doute nos vies. Le danger du rêve, c’est qu’il y a toujours un réveil qui suit. Plus on snooze, plus la possibilité d’avoir le cash down pour une maison à Belœil s’éloigne.
Je suis d’une génération malade d’avoir trop rêvé, brisée de s’être crue spéciale. Je suis d’un temps qui ne veut pas de nous, d’une ère de suréduqués en quête d’un salaire plus que minimum, d’une communauté de Lost boys dont les derniers soubresauts de rêve les éloignent de Neverland et les enferme dans des nuits sans sommeil. Ils grandiront, après tout. Nous sommes les rescapés d’un univers utopique où, assommés à coup de Disney et des échecs projetés de nos parents, nous avons voulu un peu trop.
Me turning my debts into dress
Alors qu’on se force à rentrer dans le moule, on se souvient d’un temps encore pas si lointain où on criait à l’injustice en frappant sur nos casseroles. D’un temps où réfléchir et critiquer semblait être la quintessence de l’être. Trop savoir, ça tue. Heureux sont les cons. On nous a enseigné à nous indigner et alors qu’on se révolte devant le racisme systémique et sexisme ordinaire, on s’effondre d’impuissance pour un salaire de misère dans un emploi qui au bout du compte ne changera rien.
Certains retourneront à l’école pour obtenir un énième diplôme, d’autres se recycleront dans une carrière avec plus de débouchées, car à ce qui paraît, finalement, l’argent ça compte. Certains s’évaderont dans une van, nostalgiques d’un temps plus libre, iront se perdre sur une page Instagram filtrée. C’est sûrement mieux ailleurs, right? D’autres partiront sauver le monde et à défaut de richesses matérielles, tenter un engagement social. Certains feront une autre dépression.
Cette idée d’être unique, le fait de nous avoir rebattu les oreilles pendant 20 ans de la certitude que l’on mérite mieux, nous a laissés pantois, essoufflés, écœurés. Se rendre compte que le jour pour lequel on a étudié pendant des années est vide, vide, vide, ça a quelque chose de décrissant. Que le théorème de Pythagore, les maisons longues des Hurons et notre capacité à identifier la capitale du Yukon ne seront jamais des éléments concrets que dans un système d’enseignement désuet.
On se réveille la bouche sèche, un goût amer dans gueule en scrollant notre fil Facebook pour voir des hashtags de #VanLife et de photos retouchées de la Thaïlande. Coudonc, d’où vient leur argent?
On se rend compte tranquillement que vouloir c’est pas nécessairement pouvoir, sorry Dad.
Je tiens à finir ce texte mauditement déprimant en disant qu’une gang de flocons pognés ensemble, ça fait quand même des bonnes balles de neige. Soyons une génération de constructeurs de forts à La Guerre des tuques et n’oublions jamais les sages paroles de Ti-Guy La Lune : « La guerre, la guerre, c’est pas une raison pour se faire mal. »
Restons ensemble, tenons-nous droits pour ce que l’on croit juste, prêts pour la bataille.