Si vous avez, comme des millions de personnes à travers le monde, suivi la 90e cérémonie des Oscars, je ne vous apprendrai probablement rien en vous racontant que le prix du meilleur film en langue étrangère a été remis à Una mujer fantastica (A Fantastic woman), film Chilien.
Par ailleurs, l’actrice principale de l’œuvre a marqué doublement l’histoire en étant à la fois la première transgenre et la première Chilienne invitée à présenter un segment de la prestigieuse soirée. Daniela Vega incarne Marina, une femme trans dans le film de Sebastián Lelio. Vous me direz que la thématique n’en est pas à ses premières armes en termes de nomination aux Oscars puisque The Danish Girl avait été sélectionné dans maintes catégories, en plus de gagner le prix de l’actrice de soutien il y a deux ans. Par contre, dans ce film chilien l’actrice principale est elle-même transgenre. C’est à la fois la vérité et la fiction qui se mélangent puisque le cinéaste lui-même a voulu que le rôle soit attribué à une femme trans. Dans la société chilienne actuelle, cette victoire jumelée à l’invitation de Daniela Vega qui a été très souvent ridiculisée personnellement et dont la performance a été banalisée dans l’opinion populaire est en quelque sorte un finger géant.
Au Chili, nous en sommes à des années-lumière d’une loi d’identité de genre qui est réclamée par la communauté depuis très longtemps. D’ailleurs, le nouveau président élu Piñera a fermement annoncé en janvier que l'emblématique projet de loi sur la question de la présidente sortante (Bachelet) était une « mauvaise initiative » et qu’il n’irait pas de l’avant dans ce dossier pendant son mandat qui s'amorce. En attendant, Daniela Vega a donc dû se rendre aux États-Unis en présentant un passeport qui ne respecte pas son genre ni son nom pour aller représenter son propre pays. D’un côté, beaucoup de Chiliens sont bien contents de ce premier Oscar dans la prestigieuse catégorie, mais de l’autre, ils auraient préféré en grande partie qu'une personne hétéronormée le reçoive. Une victoire douce-amère, donc, autant pour Daniela Vega que pour ses détracteurs.
La réalité des personnes trans en est une difficile en général au Québec, imaginez ici dans un pays où la droite chrétienne ultraconservatrice possède 13 des 120 sièges de la chambre des députés (3e rang)! Ça fait notamment en sorte que les personnes de la communauté LGBT n’ont toujours pas le droit d’adopter ou encore de s’unir autrement que civilement. L’avortement est d'ailleurs toujours pénalisé.
La popularité de l’actrice Daniela Vega en a fait sursauter plus d’un et surtout rouvert des débats importants ici, au Chili, en plus d’ailleurs dans le monde. Est-ce que ça fera véritablement avancer cette cause? On ne peut rien dire pour le moment. Chose certaine, les Chiliens les plus conservateurs ont dû ravaler de travers ce petit goût amer qu’ils avaient en bouche quand la sublime actrice est montée sur la scène avec l’équipe du film pour aller recevoir l’Oscar. Et juste ça c’est vraiment quelque chose de très important pour l’histoire, la société et le Chili.