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Faire un casse-tête dans le noir

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Faire un casse-tête dans le noir
Crédit: Kelly Sikkema/Stock Snap

J'ai souvent peur de trop parler de ma dépression. Bien que ce soit un pan important de ma vie, je ne veux pas que ça me définisse parce que je suis plein d'autres choses aussi. 
Je n'avais absolument pas l'intention d'écrire là-dessus cette semaine, mais en lisant la puissante lettre ouverte de Samuel Archibald, je me suis dit que la cause de la maladie mentale pouvait supporter encore un (mille) texte de plus sur le sujet. Alors voici. 

Je n’avais pris qu’un seul congé de maladie dans toute ma vie. 10 jours suivant une opération, qui aurait nécessité une convalescence de 4 semaines.
Quelques mois après, en avril 2015, j’ai reçu un diagnostic d’épuisement sévère qui, dans mon cas, s’est transformé en une longue dépression.
 
Je devais être en arrêt de travail pour 1 mois, je l’ai été pour plus de 2 ans. Comme quoi, il est utopique de penser qu’on peut prédire le cours d’une maladie mentale. Honnêtement, juste m’avouer vaincue – parce que oui, c’est comme ça qu’on se sent quand on a eu le contrôle sur notre corps et notre tête toute notre vie – ça m’a pris 4 mois. 4 fois plus de temps que la durée initiale de mon arrêt. 4 mois durant lesquels tout ce que j’ai réussi à guérir, c’est l’état de ma petite maison.
 
Cette situation aurait pu être encore plus catastrophique qu’elle ne l’était déjà. Je suis travailleuse autonome et je ne bénéficie donc d’aucun régime particulier d’assurances. Si je n’avais pas eu un entourage avec la capacité financière et l’immense générosité de m’appuyer, pour vrai, je ne sais pas ce que je serais devenue. Seule, j’avais assez de sous pour me permettre une convalescence de deux ou trois mois, tout au plus. Même pas suffisant pour me laisser tomber complètement. J’imagine que je serais retournée travailler, bourrée de plus de médicaments que j’en avalais déjà pour y arriver, et que j’aurais traîné de la tête toute ma vie.
 
J’y ai pensé tous les jours à ça.
J’y pense encore très souvent, surtout ces temps-ci.
Dans toute cette histoire, j’ai malgré tout été tellement chanceuse.
 
Ce que je réalise cette semaine, grâce à la prise de parole de Samuel Archibald et à tous les témoignages qui ont suivi, c’est que ma chance a été double. Non seulement j’ai pu me guérir sans grands soucis d’argent, mais je n’ai pas eu à me battre avec une compagnie d’assurances pour leur prouver que, si on coupait ma tête en deux, on y trouverait tout plein de petites plaies attendant qu’on les suture.
 
On ne demanderait jamais à un travailleur de se présenter au bureau avec une plaie ouverte (quoique, avec ce que j’ai lu dans les derniers jours, j’en doute désormais). Avant de déclarer la fin de son congé de maladie, on ferait des points sur sa blessure et on attendrait que ceux-ci soient tombés.
 
Et bien, la seule différence qui tient entre une plaie ouverte sur un bras et celle dans la tête, c’est que cette dernière est difficile d’accès. C’est long avant de trouver le chemin pour la soigner. Puis quand on y est, il ne suffit pas d’une aiguille, d’un fil et de quelqu’un qui sait les utiliser pour la refermer. Il existe autant de modes d’emploi qu’il y a d’humains et de trous à réparer.
 
La fille d’une de mes amies est née pratiquement en même temps que la tombée de mon diagnostic. J’ai écrit dans sa carte de premier anniversaire que j’avais eu l’impression d’apprivoiser la vie au même rythme où elle la découvrait. Parce que faire une dépression, c’est réapprendre à vivre. C’est essayer, échouer, recommencer, tomber, se relever. On ne passe pas de 0 à 100 comme on tourne une page de calendrier.
 
Le sac était tellement plein de « j’ai pas le choix » qu’on a perdu en chemin le sens du plaisir, de ce qui fait du bien, de ce qui est lent, de ce qui nourrit. On reconnaît que tout ça existe, sans plus savoir à quoi ça ressemble. Pour les sentir à nouveau, il faut se risquer à y retourner. Au cas où ça nous donnerait juste un petit peu plus d’énergie que ça nous en prend. Des fois, on se trompe. Des fois, on fait ça juste pour sentir qu’on est encore capable. Des fois, ça prend ça pour réaliser que c’est vrai qu’on n’en peut plus.  
 
Malgré ce que les mauvaises têtes peuvent en penser, quand tu es en dépression, ton but, ce n’est pas de continuer à mal aller. Alors la journée où ta face produit un sourire sans que tu l’aies forcé, croyez-moi que tu as le goût de ne pas être le.la seul.e à le voir.
Loin d’être le symbole de la guérison, c’est la preuve que la lumière s’allume encore un peu.
 
Sur ce, je mets au défi les assureurs de faire un casse-tête 5 000 morceaux dans une pièce où il n’y a qu’une petite lueur au loin. Probablement qu’eux-mêmes, à la fin de cet exercice, auront besoin de l’aide qu’ils ne veulent pas donner. Je me demandais bien ce qu’ils en penseraient du cas de Samuel Archibald, et de tous les autres, dans ces circonstances.

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