Depuis que je suis féministe et que je m’associe à différents groupes, j’ai vu passer beaucoup de bisbille, de choc d’idées et de revendications. Car, eh oui, les féministes, tout comme les femmes (ou n’importe qui), ne forment pas un groupe monolithique, ou communément appelé par les gens de la droite, un hive-mind. Parmi toutes les querelles que j’ai vu passer et dont j’ai fait partie, l’une qui me travaille beaucoup est au sujet des hommes et des mots parfois employés pour en parler. Après avoir vu passé les memes de male tears, on voit désormais beaucoup de men are trash ou de personnes marginalisées dire qu’iels haïssent les hommes cisgenres.
Mon premier réflexe a été d’en rire, parce que je comprends parfaitement le sentiment, bien que je ne l’avais jusqu’alors jamais exprimé, ou même avoué. Mon deuxième réflexe, toutefois, a été de me questionner. N’était-il pas contre-productif d’aliéner une démographie au complet à notre cause, surtout considérant que c’est cette démographie en particulier qui nous oppresse? Maintes réflexions plus tard, j’en suis venue à la conclusion que non, et qu’il était même sain de le dire.
J’ai compris que d’être contre ces paroles parfois incendiaires cache un #NotAllMen que l’on essaie pourtant d’habitude de condamner. Car même si tous les hommes cisgenres ne sont pas méchants, ils font tous partie et bénéficient du même système oppressif communément appelé patriarcat, système qui continue de nous refuser notre autonomie corporelle, sexuelle, de genre et notre individualité. Car même si tous les hommes cisgenres ne sont pas des violeurs, toutes les femmes et personnes à l’identité de genre marginalisée vivent avec la peur de subir des violences sexuelles.
J’ai aussi compris que de dire qu’on déteste les hommes n’a en rien à voir avec la haine que les hommes éprouvent envers nous. Car leur haine, ils n’en sont pas conscients eux-mêmes, la plupart du temps. C’est une haine condescendante, paternaliste, qui s’exprime sous la forme de propos banals tenus à notre égard, dont la violence est sans cesse ridiculisée, sous la forme de stéréotypes et de statistiques. Ce sont des blagues de viol, des blagues de lave-vaisselle, c’est le slut-shaming, le victim-blaming, le mansplaining. C’est la pensée que les femmes servent à donner du plaisir aux hommes et à enfanter leur progéniture. C’est une haine vicieuse et présente tellement partout dans notre société qu’elle est même présente en nous. On l’assimile et on s’haït pour des raisons que jamais un homme ne s’haïrait, et on haït les autres femmes pour que les hommes nous haïssent un peu moins.
Cette haine, elle nous fait gagner moins en salaire, elle nous impose des diktats de beauté, elle rend acceptables les violences sexuelles dont nous sommes victimes au quotidien. Cette haine n’est en rien comparable d’affirmer que '' men are trash '', car de dire que l’on déteste les hommes est, dans la réalité où nous vivons, un acte révolutionnaire. C’est se réapproprier notre existence, c’est de dire un gros fuck you aux violences dont nous sommes sujet.te.s. On ne dit pas '' men are trash '' parce que l’on déteste chaque homme individuellement. On le dit parce qu’on est écœuré.e.s de se battre non seulement contre les hommes, mais pour que les hommes comprennent ce que l’on vit et qu’ils cessent de nous opprimer. '' Men are trash '' est ainsi devenu une forme d’autodéfense cathartique.
Ce qui m’a amené à la conclusion que, non seulement nous ne devons rien aux hommes ; certainement pas de faire attention à leur égo, mais que le combat est encore loin d’être achevé et qu’il reste encore beaucoup trop d’hommes non seulement hostiles au féminisme, mais aux femmes et personnes marginalisées tout court.
Tant que les incels existeront et continueront de dire que les « femelles » sont des créatures inférieures qui leur doivent du sexe, tant que des gens comme Trump existeront et pourront continuer à avoir des postes haut placés malgré le fait qu’ils soient ouvertement misogynes et racistes, ou malgré qu’ils soient violeurs et pédophiles, tant que le système de justice ne prendra pas au sérieux les victimes et que des juges leur diront de se coller les genoux ou acquitteront des violeurs pour ne pas ruiner leur carrière sportive, tant que, à compétences égales et dans un poste similaire les femmes et personnes marginalisées ne feront pas le même salaire que les hommes blancs cisgenres, mais surtout tant que tous les hommes ne combattront pas activement, ouvertement et agressivement le patriarcat, il est et sera de notre plein droit de dire sans aucune gêne que men are trash.