Il y a déjà quelques mois, je vous avais introduits à une jeune femme que j'avais rencontrée et dont la naissance avait été dans des circonstances plus particulières que ce que nous connaissons, c'est-à-dire, issue d'un viol. Elle nous avait raconté son histoire, que vous pouvez lire ici. Sachez que nous sommes désolées des délais, mais le timing émotionnel était un facteur qu'il nous fallait respecter.
D'abord et avant tout, je crois qu'il est important de préciser le contexte de sa naissance. Elle était censée se faire adopter par des parents adoptifs déjà choisis. Sa mère biologique deviendrait ainsi une « amie de la famille ». Mais celle-ci a changé d'idée en cours de grossesse.
Le pourquoi de cette décision est souvent revenu la hanter lorsque sa mère, entre autres choses, lui infligeait des blessures physiques. Elle en a été malheureusement souvent victime durant son enfance. Pour elle, c'est bien évident que le contexte de sa conception n'excuse en aucun cas ces agissements, mais il lui arrive de se demander si elle n'a pas tout inventé puisqu'à ce jour, sa mère s'est assagie et n'a plus jamais levé la main sur l'un de ses enfants (elle en a eu trois autres après elle) : « Je me demande parfois si je suis folle! Mais comme mon frère a été témoin des maltraitances, ça me ramène toujours un peu à la réalité. »
À ce jour, et depuis environ 5 ans, elle sait que sa mère est fière d'elle et de ce qu'elle est devenue. Il faut croire qu'à cette époque, elle ne cherchait pas à connaître son enfant. Elle était juste le résultat de quelque chose : « Je n'étais pas une personne, j'étais juste sa responsabilité, responsabilité qu'elle ne voulait pas. »
Voici donc la suite de ma rencontre avec Marie, nom fictif créé afin de préserver l'anonymat :
Marie, est-ce que tu te considères comme une victime?
Pas vraiment. Plutôt une victime par répercussion, de manière indirecte. Le violeur a créé une autre victime à cause des dommages qu'il a créés à ma mère, et ceci a ensuite eu des répercussions sur moi (les maltraitances subies).
Trouves-tu que tu vis une vie somme toute "normale"?
Oui, mais ça aura pris beaucoup de travail. Lorsque j'étais jeune, j'étais obligée de voir une psy via la DPJ. Je ne parlais pas lors des séances, je n’en avais pas envie parce que je n'en ressentais pas le besoin. Je ne comprenais pas la situation. La compréhension de la situation s'est faite à l'âge adulte. Tu finis par avoir des patterns qui ont une corrélation avec ce qui s'est passé, mais enfant, tu n'es pas conscient que ça va arriver.
En tant que femme, je crois que c'est malheureusement normal que l'idée du viol nous traverse l'esprit. Considères-tu que tu y penses plus souvent qu'une autre (bien que ce soit difficile à évaluer)?
Une demie-seconde, mais à TOUS les jours. Aussi, j'entends le mot viol quotidiennement, surtout depuis qu'on s'est mis à exposer le concept de la de culture du viol cet hiver. Mais oui, ça me fait très peur… Si ça devait m'arriver, j'ai cette vague impression en moi qu'il faudrait que j'essaie d'expliquer à l'agresseur qu'il n'a pas le droit, à quel point ce n'est pas logique que ça se passe encore! C'est comme se faire frapper deux fois par la foudre.
Est-ce quelque chose dont tu parles à tes amis? À ton copain?
Mes amis proches, oui. Mon chum aussi. J'ai souvent l'Impression que j'ai une personnalité normale, mais que parfois, les gens ne la saisissent pas, mais que si ces personnes savaient ce que j'ai vécu, ils comprendraient mes agissements. J'ai longtemps essayé de me faire aimer, mais maintenant je m'en fous! J'étais plus douce, maintenant je suis devenue plus rough. T'as pas besoin de m'aimer, j'ai pas besoin de t'aimer. Je ne ferai pas d'effort. Pour ce qui est de mon copain, il est mon plus gros support. J'ai beaucoup grandi dans cette relation, je me sens égale à lui. Je suis bien quand je suis avec lui, je suis bien quand je suis sans lui. On chemine sur des lignes parallèles, mais on se rejoint toujours. Il me permet d'être 100 % moi-même!
Et est-ce que cette situation a ou a eu des répercussions sur ta vie de couple?
Dans le passé, oui. Plus maintenant. J'ai eu une phase dépendante affective où je me reposais complètement sur l'autre. Sur le plan sexuel, j'y porte un regard plutôt animalier, c'est-à-dire qu'il y a selon moi des façons d'avoir des relations sexuelles saines, mais mon regard « extérieur » est que l'on est déconnecté de nos instincts primaires dans la vie en général. Or, à l'extérieur d'une relation stable — les one night entre autres — cet acte sert à combler cet instinct de base, ce besoin animal. Et de plus, tout est axé là-dessus : la publicité, etc. Mais, je n'ai pas peur d'avoir des relations sexuelles.
Es-tu plus sensibilisée à la culture du viol (voir le très pertinent texte de ma collègue Alex Viens) que peut-être d'autres personnes pourraient l'être?
Absolument, et ce concept existe. C'est entre autres dans la façon d'éduquer nos enfants, dans certaines de nos cultures. La femme est objectivée!
Te sens-tu gênée/mal à l'aise d'en parler aux autres?
On dirait que ça « sonne » pas champion… Les gens me prennent un peu en pitié. Je n'ai pas vraiment envie d'en parler, car les gens pourraient en penser quelque chose, se faire une idée. Pourtant ça ne définit pas qui je suis, mais en même temps oui. On ne parle pas vraiment d'enfants issus d'un viol, mais quand ça arrive, on te met dans une boîte. C'est tabou.
Qu'est-ce que tu voudrais dire à ta mère?
Je lui ai déjà écrit quelques lettres, mais c'est plus ce que j'aimerais QU'ELLE me dise. Je voudrais qu'il y ait un dialogue, qu'elle se sente à l'aise de m'en parler. Ça serait un moment émotif et fort et pourrait faire en sorte de nous rapprocher ou nous permettre de mieux nous comprendre. Mais je comprends que ce sont ses blessures à elle. Par contre, comme je ne suis pas un inconnu, ça m'affecte.
As-tu déjà songé que ça pouvait être un membre de ta famille qui aurait commis l'acte?
Je ne pense pas. Ma mère a un fort caractère. Si c'était quelqu'un de sa famille, elle aurait sûrement réagi. On ne sait pas qui c'est. C'est comme s'il me manquait la moitié de ma personne. Tout ce que je sais, c'est qu'elle avait 17 ans, elle habitait encore chez ses parents. Elle n'aurait pas donné de détails à ses parents non plus. Mon grand-père avait une suspicion, mais avec très peu de détails. Je me suis déjà présentée dans un bureau de police, pour prendre mon sang et soustraire le sang de ma mère pour avoir des infos sur mon père. Mais ça ne marche pas comme ça y paraît…! Aussi, ma mère n'a jamais fait de plainte au criminel et ça prend un accord de la cour venant de la mère pour pouvoir faire des démarches quelconques.
Si tu trouvais ton père, que voudrais-tu faire ou dire?
Ça dépendrait d'un tas de choses. De l'histoire, entre autres, et il y a trop d'hypothèses. En tout cas, je lui cracherais peut-être dessus!
Les questions sont là chaque jour, Marie y pense toujours. Elle apprend tant bien que mal à lâcher prise et accepter que sa mère et elle entretiennent une meilleure relation à ce jour et que ça restera ainsi, sans le détail de sa conception. Que le viol fait partie de ce qu'elle est et qu'elle n'y peut rien.
À la demande de Marie, et comme ce témoignage pourrait susciter des discussions ou des questionnements chez plusieurs, ou encore raviver des expériences passées, il a été convenu que je ferais le pont entre elle et vous, afin de conserver l'anonymat. Or, si vous voulez m'écrire, je vous invite à le faire via Facebook Messenger (je vérifierai régulièrement mes demandes de messages) ou encore par commentaires. Soyez certain.e.s que je lui enverrai chacun de vos messages!
N'oubliez pas que vous n'êtes pas seul.e.s, et le but de ce billet était justement d'ouvrir une porte à ce que les gens en discutent entre eux ; briser le tabou, briser le silence.