Il me disait que j’étais belle. Il me le rappelait constamment en ajoutant parfois des adverbes d’intensité. Il m’en couvrait comme on abrie un rosier en hiver pour éviter qu’il ne se brise.
Ses mots me flattaient. Ils suscitaient chez moi un sourire tel un trophée éphémère. Je m’y accrochais pour un moment, puis je les rangeais pour les années à venir. La beauté se fane. Un jour, tout ce qu’il me restera sera ce vieux classeur mental de compliments poussiéreux.
Et quelle valeur leur restera-t-il, à ces paroles déjà bien vides? Quel mérite a-t-on de savoir porter l’artifice?
Ce sont les conversations qui m’importent. Celles que nous avions de la banquette arrière d’un taxi alors que la soirée tirait à sa fin. Celles que se repassaient les chauffeurs une fois leur quart de travail terminé, on le devinait à leur façon d’éviter les coups d’œil dans le rétroviseur, de mal feindre de ne pas tendre l’oreille. Ce sont elles qui le ramènent à moi ces soirs où, accompagnée d’un autre, le conducteur se fait trop concentré sur la route. C’est à l’arrière d’un taxi qu’il me fit réellement l’amour. C’était un homme ivre de la chair qui savait dîner avec adresse et qui partageait sans retenue son plaisir, mais c’est tout habillé qu’il me prit réellement. Par sa bouche, certes, en sa qualité de canal des codes de l’esprit. Et par ses yeux, en leur qualité tout court. En leur transparence. Il était beau tout entier. De l’intérieur surtout. Abîmé quelque peu, en plusieurs morceaux, mais qui ne l’est pas. Ce n’est que valeur ajoutée. Du Chanel dont le cuir s’est assoupli avec les années. En mille pièces donc, un puzzle aux coins retroussés. J’ai toujours aimé les jeux de société. Lui aussi d’ailleurs. La société, il se plaisait à la charmer, la déguster et la vomir. Fier de tenir les femmes de la haute dans le creux de sa main et orgueilleux d’en faire des boulettes de papier bonnes à être recyclées par d’autres, lesquels se font une règle de ne pas partager leur quartier avec les hipsters sans le sou.
Pourtant esclave de belles apparences, il posait sur moi un regard qui allait au-delà du masque de cosmétiques. Qui cherchait à connaître ma nature meurtrière. À comprendre de quel côté des gens je lance mes couteaux. Et qui semblait perplexe de ne rien trouver. Alors il se méfiait de plus belle, sans savoir que je n’en possédais point. Que j’avais rangé mes armes. Pire, je les avais perdues à sa rencontre, contre mon gré. Sans savoir que jamais mes mains ne seront couvertes de son sang. Mais que pour lui je les aurais salies volontiers. Que moi aussi, j’ai saigné. Qu’avec lui, je ne cherchais pas à panser mes plaies. Ni même à les oublier. Je ne lui demandais pas de baiser mes cicatrices, ni même de les rendre moins laides.
Nous désirons des choses si simples et la complexité de l’humain vient tout gâcher. Nos peurs, celle d’avoir mal. Nous sommes tous des mauviettes. Lui surtout.
On souffrait de la même maladie, le burnout amoureux. Alors on a construit des clôtures. Des barbelés à double tranchant et haute tension. En aura-t-il valu le choc électrique? La vie vaut-elle la mort.