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Comment une coquerelle m’apprit la malléabilité de l’esprit
Crédit: Michelle Spencer/Unsplash

Je n’en suis pas fière, sachez-le. Voici pourtant la vérité : aux environs de 4 heures du matin à mon retour d’une boîte de nuit, âgée de 19 ans, assez sobre et toujours vêtue de ma robe American Apparel noire trop serrée, je réveillai mon père afin qu’il vienne tuer l’araignée qui avait élu domicile dans ma chambre et qui rendait donc l’endroit terrifiant et inhabitable. Ce type de scénario était chose commune à l’époque. Pendant des années, j’ai vécu avec une peur débilitante des araignées.
 
Ma phase vodka-lime passa. Je troquai les clubs du samedi soir pour des dimanches matin au studio de yoga. Ma peur des arachnides demeura.
 
Puis, je partis pour Hawaii en quête de changement. Le Big Island s’offrait à moi avec ses plages de sable noir, un climat à rendre jaloux les Québécois dont la voiture est coincée dans un banc de neige en plein mois de mars, des cocotiers et l’écosystème qui s’y rattache. Là-bas, j’enchaînais des asanas dans une tentative de réaligner mes chakras entre deux satsangs d’une communauté de yoga à l’autre sur le pouce. J’avais remisé ma trousse à maquillage et pouvais porter le même t-shirt deux jours de suite sans me soucier de croiser les mêmes gens que la veille (l’affirmation précédente est un mensonge. Je n’étais pas rendue là, mais vous comprenez le principe). Prévoyante, je m’étais enquise sur la présence et la grosseur moyenne des espèces à huit pattes par angoisse et souci de préparation mentale. Heureusement, je n’eus aucune malencontreuse rencontre avec ces dernières.
 
Toutefois, un soir, au moment de retrouver mes quartiers – une tente en toile munie d’un petit matelas posé sur une base de bois à l’orée de la jungle tropicale –, j’arrivai face à face avec une coquerelle géante. Sans être réellement apeurée, je n’avais aucune envie de partager ma chambre de tissu avec une énorme blatte noctambule alors que je m’apprêtais à gésir inconsciente, vulnérable et peut-être même la bouche ouverte. Après une vingtaine de minutes à pourchasser l’insecte dans deux pieds carrés à la lumière de l’application lampe de poche de mon vieux iPhone, j’abandonnai le projet de capturer l’intrus et me résignai à partager l’espace, et la nuit, avec ce dernier.
 
Assise devant mon bol d’açaï le lendemain matin, je racontai la péripétie à un local, un peu
dégoûtée et presque fière d’avoir fermé l’œil à proximité d’un cafard en liberté. Peu impressionné, Jack me répondit qu’il ne s’agissait que d’un animal comme un autre (propos techniquement discutable, mais vous comprenez l’idée). Et puis voilà, juste comme ça, une simple phrase prononcée dans une langue qui n’était même pas la mienne changea mon entière perception. Les coquerelles sont des animaux comme d’autres… Et les araignées aussi.
 
À mon retour, lorsqu’à nouveau confrontée à un hexapode, je le ramassai et le portai à l’extérieur. Et puisque je survécus, j’entrepris de faire la même chose avec le reste de mes peurs, parce qu’une peur est une peur comme une autre et, de toute évidence, elles sont surmontables.

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