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Le harcèlement psychologique n’est pas une méthode d’enseignement
Crédit: JJ Thompson/UNSPLASH

En 2e année, mon enseignante pointe des élèves au hasard : « Nomme-moi les mois de l’année ». Je m’exécute : « Janvier, Février… Euh… » Silence. Je ne connais pas l'ordre des mois de l’année. Au lieu de passer à quelqu'un d'autre, elle s’acharne. Semble-t-il que c’était simplement « attendu » de la part des parents d’enseigner cela à leurs enfants. Sauf que moi, à ce moment-là, mes parents étaient en train de se séparer, et m’apprendre l'ordre des mois de l’année était très loin dans leurs priorités. La honte d’être inadéquate, nulle, de ne pas pouvoir répondre aux attentes.

Puis un an plus tard, les (maudits) tests de rapidité en calculs mentaux. Déjà, je détestais ça parce que je n’étais pas très rapide à la base (en plus de souffrir d'une légère dyscalculie #PassionChiffres #Not). Une fois, j’ai terminé des lustres après tout le monde. Je n’ai jamais fini le test en fait, puisqu’à partir du moment où je me suis rendu compte que toute la classe m’observait en me jugeant, mon cerveau s’est complètement bloqué. Et j’ai dû faire face à la déception de mon père par la suite, lorsque la note arriva à la maison. Bien sûr qu’après, j’ai redoublé d’ardeur et j’ai réussi à faire un meilleur temps. Mais à quel prix?

Une grosse partie de mon anxiété, de mon besoin d’être parfaite, de ma nécessité d’être adéquate à tout moment et sur tous les plans viennent de là, comme un système de défense pour éviter à tout prix l’humiliation. Et, même aujourd’hui, à 32 ans, c’est une chose qui m’empêche de jouir de la vie, toujours prise dans une course vers la perfection afin d’éviter l’échec, même le plus petit. Cela vient aussi troubler le rapport entre ma raison et mes sentiments. Par exemple, je sais que j’ai du talent ou que je fais bien telle chose, mais invariablement, je suis convaincue, dans mes tripes, de ne pas être à la hauteur, de ne pas être aussi bonne que les autres, d’être un imposteur, d’échouer. Même écrire un article m’en demande beaucoup, émotionnellement, parce que je doute de moi sans cesse (demandez à mes ami.e.s qui doivent compulsivement les lire, me conseiller et me rassurer #MerciLaGang).

Alors que dans mon cas, cela n’est arrivé que très ponctuellement, au mieux 2 à 3 fois, imaginez si c’était quelque chose qui vous arrivait constamment et que vous étiez personnellement visé.e, que vous deveniez le bouc émissaire, le dindon de la farce, continuellement. Vous êtes érigé.e en « exemple à ne pas suivre ». Vos échecs sont paradés devant les autres dans un grand festival de la médiocrité, créé expressément en votre honneur, et ce, même si vous n’êtes pas moins bon.ne que d’autres : vous avez seulement perdu au loto des souffre-douleurs. Je suis bien désolée, mais il n’y a strictement rien de pédagogique là-dedans. C’est aussi d’une injustice sans nom.

En pédagogie, au contraire, il s’agit d’amener l’apprenant à changer ses méthodes d’apprentissage et ses connaissances antérieures (préjugées, idées préconçues, etc.) progressivement. Et même lorsqu’il est question de conflit cognitif ou socio-cognitif, celui-ci reste toujours accompagné d’une sorte de filet de sauvetage savamment déployé par l'enseignant.e.

Et donc autant sur le plan pédagogique que sur le plan de la violence psychologique, Gilbert Sicotte est en faute. Le nier, c’est ne pas reconnaître les dommages que ce genre « d’enseignement » crée sur la santé mentale des étudiant.e.s, et ce, à long terme. Il s’agit vraiment d’un traumatisme, alors que l’étudiant.e est littéralement à la merci du/de la professeur.e. L’évaluation des compétences ne peut pas se faire de façon juste si l’étudiant.e n’est pas en confiance par rapport à la personne qui l’évalue, et c’est d’autant plus évident quand on s’arrête une seconde et que l’on considère qu’une évaluation est une situation où l’évalué.e est en position d’extrême vulnérabilité. J’veux dire, on se place volontairement sous le microscope d’un.e expert.e afin qu’il juge de notre valeur…

Étrangement, au Québec, la profession enseignante n’est pas valorisée outre mesure (sauf quand vient le temps de remettre en questions les capacités d’enseigner de la jeune prof de secondaire qui demande à rencontrer votre jeune parce qu’il a des problèmes de comportement que vous refusez de voir). Et pourtant, ce sont ces professionnel.le.s qui sont, à bien des égards, les piliers de base de la société quand on y pense. Justement, ailleurs dans le monde (entre autres, en Asie de l’Est), cette profession est traitée avec le plus grand respect (et vient également avec une très grande responsabilité). Parfois même, les professeur.e.s sont traité.e.s comme des membres de la famille. Je me demande ce que vous feriez avec un membre de la famille qui abuse psychologiquement votre enfant…

Répétez après moi : le harcèlement psychologique n’est pas une méthode d’enseignement. Pas plus qu’une méthode de direction, de gestion ou une ambiance adéquate dans un milieu de travail, et ce, peu importe le milieu. Qu’on institutionnalise l’abus en art, ce n’est pas « moins pire » ou plus correct qu’ailleurs sous prétexte que « ce sera pire quand tu seras sur le marché du travail ». Sérieusement, en 2017, vous n’en êtes pas encore convaincu.e.s? Et les campagnes de sensibilisation sur la santé mentale chaque année, c’est quoi alors, de la gnognotte? 

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