En tant qu’ancienne étudiante de psychologie, je suis particulièrement sensible aux grandes affirmations sur la « nature humaine » qu’on peut voir un peu partout dans les médias. La plupart du temps, ces affirmations sont en conflit avec l’état de nos connaissances scientifiques, ou, lorsqu’elles citent des recherches, le font de manière erronée, déformant la réalité.
Une des affirmations que je vois beaucoup ces temps-ci et qui m’énerve au plus haut point, c’est l’idée selon laquelle les femmes et les hommes seraient naturellement différents, mais complémentaires. Cette idée est souvent utilisée par des gens qui veulent dénoncer les « excès » du féminisme, que soi-disant à force de vouloir « rendre tout le monde pareil », on serait en train d’oublier « nos différences innées ». J’ai même vu plusieurs personnes se réclamant du féminisme avoir un tel discours. Cela peut sembler alléchant, car on a l’impression qu’il s’agit d’un moyen de nier qu’un genre est supérieur à un autre, que chacun a sa valeur, mais je pense que cette stratégie est extrêmement nuisible, tout en étant basée sur une conception fausse de la nature humaine.
Une conception binaire
Le plus gros problème de l’idée selon laquelle les hommes et les femmes sont des êtres naturellement complémentaires, selon moi, est qu’elle renforce un schéma binaire où il n’existe que deux genres, à savoir « homme » et « femme ». Cependant, il n’en est rien : d’abord, il faut distinguer le physique d’une personne de son identité. Et même si on se limite au physique, les êtres humains ne peuvent pas être tout simplement placés dans l’une ou l’autre de deux cases. Il y a bien sûr la question des chromosomes d’une personne. En général, on entend que les chromosomes XX sont typiques des femmes, et XY, des hommes. Cependant, d’autres combinaisons de chromosomes sont possibles. De plus, la biologie d’un individu va aussi dépendre de l’activité de ses hormones et de nombreux autres facteurs. Et au final, ces facteurs ne sont pas déterminants de l’identité d’une personne. Donc, dire que les hommes et les femmes sont complémentaires, c’est défendre une vision qui ne correspond pas à la réalité, mais qui peut aussi facilement tomber dans le cissexisme. De tels propos, en effet, ont tendance à réduire le genre à la biologie et à classer les gens qui sortent du schéma comme étant « contre nature ».
Le couple hétérosexuel n’est pas le centre du monde
Un autre problème de cette vision est qu’elle semble impliquer que le couple hétérosexuel est la finalité de la vie humaine. En effet, si les hommes et les femmes « se complètent », cela semble vouloir dire que nous sommes « incomplets » et « incomplètes » en dehors d’une relation hétérosexuelle. Donc, en étant célibataires, il nous « manque quelque chose ». Et quant aux couples homosexuels, il semble qu’ils soient au mieux incomplets, au pire en conflit éternel. Je ne pense pas avoir besoin d’élaborer en quoi une telle conception des rapports humains est nuisible.
On ne naît pas femme, on le devient
S’il existe plusieurs différences observables dans le comportement des personnes appartenant à des genres différents, cela ne veut pas dire que ces différences sont le fruit d’un impératif biologique : il ne faut pas oublier le rôle de l’environnement. Après tout, le cerveau est un organe plastique, qui est encore bien peu développé à la naissance. Il faut le souligner encore et encore : ce n’est pas parce qu’il y a des différences que ces différences sont nécessairement 100 % naturelles, biologiques, inévitables. Il ne m’est pas possible ici de faire un inventaire exhaustif de tout ce qui s’est dit à ce sujet, mais si le sujet vous intéresse, je recommande fortement la lecture de Cerveau, hormones et sexe, un ouvrage sous la direction de Louise Cossette paru aux éditions du Remue-Ménage.
Pour en finir avec la *maudite* idée que le féminisme « veut rendre tout le monde pareil »
Une chose que j’entends beaucoup de la part de celleux qui prétendent que les femmes et les hommes sont complémentaires dans leur différence est qu’il s’agit d’une vision où la diversité s’oppose à la volonté que « tout le monde soit pareil ». Il y a plusieurs problèmes avec cette manière de penser. Déjà, il s’agit d’un sophisme de la pente glissante. Insister sur le fait que les hommes et les femmes ne sont pas si différents que ça de manière innée, ce n’est pas dire que tout le monde est pareil.
En fait, le fait d’abolir la distinction rigide entre deux sexes, qui sont identiques à deux genres et qui ont chacun une fonction assez fixe, permet plus de diversité. Au lieu d’enfermer les gens dans leurs rôles de genre respectifs, au lieu de réduire la diversité du monde à la différence entre deux groupes supposés homogènes, on laisse la porte ouverte aux individus pour exprimer leurs identités diverses. Et ça, selon moi, c’est valoriser la diversité.