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J’ai été stripteaseuse pendant deux soirs – Deuxième partie
Crédit: Unsplash

*Si vous n’avez pas lu la première partie, elle se trouve juste ici.

J’ai eu de longues conversations, très intéressantes, avec des hommes qui dans un autre contexte m’auraient paternée, diminuée, dénigrée. Mais ici, oh que non! J’ai parlé de langages comme j’en parlerais avec n’importe qui, avec des gens qui auraient pu être des amis de mes amis – à peu près mon âge et à l’université. Sauf que d’habitude, ces gens ont la manie d’être condescendants ; ces intellectuels puritains qui pratiquent le gatekeeping envers les femmes. Pourtant, à ce moment, ils étaient perchés sur le bout de mes lèvres. J’étais presque nue, ils étaient vêtus, mais je me sentais drapée de confiance et ils étaient intimidés par ce pouvoir d’habitude refusé aux femmes. Je maîtrisais la situation et l’argent a coulé comme de l’eau, je n’ai même pas eu besoin de danser sur scène! Je n’étais pas non plus la seule danseuse, mais j’étais la plus prisée, puisque j’étais nouvelle à la fois au bar et dans l’industrie, ça se voyait. Les autres filles me montraient leur déplaisir, et parfois lorsque je parlais avec l’un de leur client régulier, elles venaient se montrer juste pour défaire la conversation, juste pour marquer leur territoire. Cette compétition, je l’ai ignorée superbement toute la soirée, subjuguée par le sentiment de liberté que je ressentais alors.

La soirée s’est étirée puis la fin s’est pointée. Alors que les clients partaient, je me suis essayée sur scène pour me pratiquer tandis que V me donnait des trucs. Je trouvais ça vraiment le fun, j’avais beaucoup de plaisir à danser. Après un moment, mon copain m’a envoyé un message pour me dire qu’il était arrivé, alors je suis allée me changer, j’ai ramassé mon sac et je suis sortie, toute fière, de retour à moi-même. Je me suis assise dans la voiture et j’ai aussitôt ouvert mon sac pour lui montrer les centaines de dollars que j’avais accumulés. Sauf que je n’ai pas retrouvé un seul billet. J’ai fouillé partout, mais rien. Puis j’ai eu un flashback du moment où je mettais l’argent dans mon sac et que l’une des danseuses me regardait. J’avais envie de pleurer et de hurler en même temps. Aussi surprenant que ce soit, je ne suis pas une guerrière : je déteste confronter les gens, alors j’ai dû ravaler mes larmes pour retourner au bar, juste avant que les trois autres danseuses ne quittent ensemble. J’ai dit à V que mon argent manquait et que je savais laquelle l’avait volé, mais il n’y avait rien qu’on puisse faire. J’étais impuissante. J’avais été vraiment inconsciente, j’aurais dû être plus prudente, surtout que j’avais cruellement besoin de cet argent. J’ai donc décidé de revenir le lendemain, même si c’était un lundi, pour me réessayer.

Le soir suivant, j’étais prête. Je n’ai eu aucun mal à me changer et à monter au bar, mais il n’y avait presque personne, alors j’ai dansé. Un homme a alors commencé à me parler, à me dire que j’avais du talent et que je devais aller dans cette autre ville qui était la mecca du striptease. Je ne voulais pas y penser, évidemment que je n’allais pas centrer ma vie autour de ce travail. Après une vingtaine de minutes, un homme est entré et a voulu que je danse pour lui. Cependant, une fois dans la cabine, il a réussi à détruire toute ma confiance nouvellement acquise en me ramenant à l’état d’objet. Il m’a fait asseoir pour inspecter mon corps dans ses moindres détails, jugeant de la qualité de celui-ci et ne se gênant pas pour commenter.

Je ne me suis jamais sentie aussi déshumanisée de toute ma vie, et ce même si j’ai été violée plusieurs fois. Cette expérience était à mes yeux infiniment plus humiliante. Ma confiance ainsi disparue, j’ai quand même dansé pour lui, et il m’a alors mordu les seins jusqu’au sang. J’étais brisée. J’avais envie de le frapper en pleine face, mais j’en étais incapable. Avais-je même le droit de refuser? J’étais perdue, vulnérable, je ne contrôlais plus rien. Après la danse, il est allé retirer l’argent et me l’a donné. Sous prétexte d’aller la mettre dans mon sac, je suis retournée au vestiaire pour appeler mon copain, qui m’a encouragée à partir sur-le-champ. Il n’était pas loin, alors il est venu me chercher. Je me suis habillée et je suis sortie la tête basse, en ne regardant personne, espérant ne pas me faire repérer. Je ne pouvais pas aller à l’hôpital, alors j’ai simplement appelé V pour lui dire ce qui s’était passé, et elle m’a dit que j’aurais dû le frapper pour vrai. En raccrochant, je me suis dit que je n’étais pas faite pour ce travail, que ma confiance n’était que de façade, que, ultimement, je resterais toujours un peu trop soumise et peureuse, incapable de dire non et d’être ferme.

Peut-être était-ce juste le mauvais bar, puisque d’habitude les danseuses doivent être protégées, et qu’au moindre contact le client est expulsé de l’endroit. Ma peau a guéri avec le temps, mais je n’oublierai jamais ces deux soirées.

Au final, je ne regrette pas de l’avoir essayé. J’ai adoré ma première soirée et, si l’occasion se présentait, peut-être que je danserais encore. Cependant, cette fois, j’aurai l’expérience pour choisir un endroit plus sécuritaire. Ça m’a également fait prendre conscience du danger auquel les travailleur.euse.s du sexe sont sujets et comment il est important de cesser d’ostraciser ces gens afin de leur offrir de meilleures conditions de travail.

J’espère que mon article, qui m’est libérateur à écrire, va amener certaines réflexions à certaines personnes.

Je ne peux m’empêcher de penser à l’ironie du fait que la publication de cet article me cause plus de peur et d’angoisse que de danser dans les bars. Il serait temps de se poser de sérieuses questions à ce sujet.

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