Encore un torchon du plus torchon des torchons, je le sais. On devrait le laisser parler de son bord, comme un vieux bonhomme chaud qui parle d’on ne sait quoi à la fin d’un party. C’est un tata. C’est correct. Ça, je le sais. Mais quand il touche a un droit fondamental de la femme, je suis incapable de me taire et de le laisser aller.
Pour vrai, j’ai plein de compassion pour la femme qui a été poignardée dimanche dernier. Perdre son enfant d’une telle façon, c’est épouvantable. Juridiquement, ça a l’air de ne pas faire de sens non plus. On a déterminé que l'enfant était né et viable, donc il y aura une accusation de meurtre.
L’affaire, c’est que Martineau n’est pas plus juriste que moi pis que les autres. C’est compliqué à comprendre une loi comme ça. L’affaire qu’il faut comprendre, c’est qu’au Canada, le fœtus, pour être considéré comme un être doté de la personnalité juridique, doit être né vivant et viable. Ce n’est qu’au moment de l’expulsion, c’est-à-dire au moment de l’accouchement, que l’on peut obtenir cet état de fait. Avant cela, tout ce qui concerne le fœtus est du ressort de la personne enceinte. Seuls les droits de la personne enceinte comptent. Ce principe provient de l’arrêt Morgentaler, lequel a permis la décriminalisation de l’avortement en 1988.
Une loi qui ne sort pas de nulle part
En 1988, la cour a pris la décision qu’un enfant doit être né vivant et viable pour que sa personnalité juridique existe. C’est une façon de protéger les droits de la mère. Dans certains pays, la personne enceinte peut être accusée d’homicide s’il arrive quelque chose au bébé qu’elle porte. Ça devient toute une responsabilité et les dérapages d’une telle loi peuvent causer du tort aux droits des femmes. D’ailleurs, je vous invite à lire ce merveilleux article qui permet de bien comprendre le pourquoi du comment.
Un mythe dangereux
Mais non, esti, il faut encore une fois utiliser un mythe courant, celui de l’avortement tardif, que l’on considère à partir de 21 semaines, qui représente moins de 2,5 % des avortements (à raison de 587 avortements à plus de 21 semaines sur un total de 23 561 avortements au Québec en 2015). Dans ce nombre, on inclut les avortements dus au fait qu’il y a des malformations et que le fœtus à naître n’aura pas de chance de survivre et être viable.
C’est d’ailleurs les hôpitaux qui doivent faire les avortements de plus de 20 semaines au Canada. Pas ti-coune dans sa cour. C’est souvent une intervention pas mal plus complexe qui n’est surtout pas prise à la légère par la personne qui la fait et celle qui la subit.
Mais non han, faire des recherches, qui m’ont pris trois clics à trouver, c’est pas mal plus compliqué que de raconter un paquet de marde sur un droit important des femmes. Un beau petit raccourci intellectuel qui permet à des centaines de personnes de se faire une tête sur un sujet qu’ils ne connaissent pas et qui limite le droit des femmes.
Mettre les choses en perspective
C’est environ 1,4 % des Canadiennes en âge de procréer qui vont avoir recours à interruption volontaire de grossesse par année. Ce n’est vraiment pas tant que ça. C’est surtout plus de 100 000 personnes par année qui ont fait le meilleur choix selon, eux, de terminer une grossesse. Et ce droit-là, il empêche des centaines de femmes de recourir à des processus dangereux pour leur santé et leur sécurité.
Si une femme ne veut pas enfanter, elle a le droit. C’est tout.
La violence conjugale, parlons-en
Mais bon, c’était trop de s’informer sur la loi, mon cher Martineau, avant de faire un autre torchon. C’était trop demandé de comprendre que le droit de la mère prévaut. Faut pas parler de la violence conjugale, du fait qu’il manque de ressources dans un paquet de quartiers de Montréal pour la violence conjugale. Que se sortir du cycle de la violence, c’est extrêmement difficile. Que la peur des femmes les fait rester dans des relations conjugales violentes.
À la place de s’obstiner et de transférer le discours sur un fait juridique qui date de 1988 et qui a permis aux femmes d’enfin pouvoir vivre des avortements dans la dignité, il ne faudrait surtout pas parler de comment les hommes violents tuent et violentent des centaines de femmes par années.
« Au Québec, les infractions commises dans un contexte conjugal comptent pour 6 % de la totalité des infractions criminelles enregistrées par les corps policiers », selon la Fédération des maisons d’hébergement pour femmes qui prend sa source directement sur statistique Canada (à deux clics encore, Martineau).
Ça fait plaisir
Je m’adresse à Martineau, qui ne semble pas lire plus que ses textes dans la vie, mais ça fait vraiment plaisir de remettre les choses en perspective. T’aurais pu utiliser ta voix, ta portée pour parler du fait que ça n’a pas de bon sens qu’une femme doit vivre la mort de son enfant, de la violence comme ça aussi. T’aurais pu dire que ça n’a pas de bon sens que les hommes fassent subir de telles violences aux femmes. MAIS NON. Fallait que tu parles d’avortement. T’es dangereux Martineau, pour toutes les femmes du Québec, t’es dangereux.
*Et n'oublions pas que les hommes trans et les personnes non-binaires peuvent aussi porter la vie. Ces personnes sont bien sûr incluses dans nos propos.