Ma petite histoire en est une qui arrive trop souvent à d’autres jeunes (surtout des femmes) qui commencent leur carrière.
J’avais 20 ans quand j’ai obtenu ce poste, celui dont j’avais toujours rêvé dans l’un des plus grands empires québécois de la communication.
Je savais que ce métier n’était pas facile et qu’il me faudrait travailler fort pour me tailler une place. J’étais prête à cela et me sentais privilégiée d’avoir un poste dans mon domaine, ce qui n’arrive pas à tous.tes. Je suis arrivée dans un moment un peu spécial, post conflit de travail avec une équipe très réduite et entièrement nouvelle, sauf les supérieurs qui avaient beaucoup d’ancienneté.
J’ai commencé à travailler pour un type dans la cinquantaine qui aimait beaucoup s’amuser à nous démolir, moi et mes collègues formant la nouvelle équipe de travail. La directrice de la boîte, sa supérieure, était elle aussi un cas très spécial (genre Evils wears prada et je n’exagère pas du tout). Un jour elle s’est fâchée contre moi et m’a prise la face dans ses mains en me demandant si je n’étais pas folle, à deux centimètres de mon nez. #Violence
Toujours est-il que mon supérieur immédiat s’était entouré d’une équipe de jeunes filles et qu’il s’amusait à nous appeler «ses petites cutes». Je sais que c’est tout à fait inacceptable, mais comme je commençais ma carrière et qu’il nous avait toutes clairement fait comprendre que c’était lui le boss et qu’il n’y avait aucune place à la discussion, eh bien, j’ai encaissé.
J’ai encaissé quand il pétait des plombs au point de virer bourgogne de rage, hurlant comme un fou, frappant sur son bureau.
J’ai encaissé quand il descendait tous les sacres contre d'autres collègues, dans leur dos.
J’ai encaissé aussi quand il me disait que j’étais sa « préférée ».
J’ai encaissé quand il m’a invitée un après-midi en secret à aller parler en privé avec lui de certains conflits avec des gens de l’équipe. À ce moment il m’a dit textuellement : « C’est un métier difficile. Tu suces ou tu te fais baiser, tu dois décider. »
J’ai encaissé aussi quand j’allais à des évènements avec lui et qu’il conduisait comme un fou.
J’ai encaissé quand il me disait que je prendrais sa place un jour et que je n’étais pas comme les autres.
J’ai encaissé toutes ses jokes dégueulasses de vieux cochon au-delà de ce qui est acceptable, tout comme mes autres collègues l’ont fait.
Devant lui, la seule option était d’encaisser ou de partir. Ce que tout le monde a fait peu à peu.
J’ai été la deuxième à quitter l’équipe.
Tout ce que j’ai énuméré plus haut était récurrent. Chaque jour. Ça s’est installé insidieusement sans que je ne m’en rende compte. J’acceptais toutes ces conditions de « marde » parce que je me sentais privilégiée d’avoir un job. À force de l’entendre nous répéter : « Si t’es pas contente va-t’en emballer de l’épicerie chez Super C » ou encore « Ça fait la file pour prendre ta place, si t’es pas contente tu sais quoi faire », j’avais assimilé tout ça au plus profond de moi.
Cet homme m’a manipulée comme jamais. J’étais devenue son petit soldat. J’acceptais tout ce qu’il voulait même si ça n’avait pas de bon sens. Mais je répète qu’à force d’écouter ses discours et de vivre ses excès de violence physique et verbale, ça m’avait rendue molle comme de la guenille. Il me montait contre mes collègues pour me garder près de lui, de son bord. Il m’implantait dans la tête des idées de machination et de compétition dans l’équipe pour m’isoler des autres. Combien de fins de semaine il m’a envoyé des SMS out of nowhere pour me parler de la réaction d’une telle pendant la réunion, pour me dire d’être sur mes gardes, etc.
Il savait que ça marchait avec moi parce qu’il me savait sous son emprise. Il jouait avec moi.
Jusqu’au jour où je lui ai tenu tête. Une seule fois. Pour une connerie.
C’était la goutte qui a fait déborder le vase, qui m’a fait exploser et m’a permis de m’extirper de ses griffes.