Je m’en souviens comme si c’était hier, même si ce que s’est passé est loin derrière moi. Ça va faire treize ans cet été.
Il faisait chaud. C’était à l’occasion d’une soirée spéciale. Je portais une robe fleurie, des petits talons hauts et je m’étais maquillée légèrement. C’était dans les rares fois où je me présentais ainsi. J’avais 15 ans. Ça sonne loin, ça sonne comme il y a des millions d’années, ça sonne comme si c’était dans une autre vie ou même, quelqu’un.e d’autre. Mais c’est mon histoire et c’est à moi que c’est arrivé.
La fin de la soirée arrivait et l’alcool lui avait monté à la tête depuis des heures. Il me raccompagnait, comme on avait souvent l’habitude de faire. Je me sentais en sécurité en sa présence.
Chez moi, nous avons tous.tes été élevés.es à faire confiance aux gens.es qui nous sourient, à ceux.lles qui ont l’air gentils.lles, à ces personnes qui nous font sentir en sécurité. Je le connaissais depuis assez longtemps pour me sentir confortable, à l’aise et moi-même avec lui. Après cette soirée, je m’en suis voulu pendant des années de lui avoir fait si confiance. Même si c’était de sa faute, j’ai porté le blâme sur mes petites épaules frêles pendant trop de temps.
Nous sommes finalement arrivés à destination, on riait et on dansait encore. Il faisait noir, il n’a pas voulu allumer les lumières – je suis devenue rapidement inconfortable. Je continuais quand même à rire et lui aussi. Je voulais aller me coucher, mais lui avait envie de continuer à faire la fête. Il s’est servi de l’alcool, m’en a offert, j’ai refusé, il a insisté : « juste un verre » . Et j’ai finalement accepté.
Mes yeux fermaient seuls, j’en avais assez et je me suis dirigée vers la chambre. Il m’a suivie en me disant qu’il voulait venir me border. Je trouvais que c’était bête, il riait toujours et moi aussi. Il s’est couché à mes côtés. Il s’est collé sur moi et malgré le fait que je tentais tant bien que mal de conserver mon espace, ce dernier se faisait de plus en plus restreint.
Tranquillement, il a tissé sa toile sur moi – c’est comme ça que je me sentais : prise au piège entre les pattes d’une araignée. Je soufflais des « non » et il riait et baladait ses maudites pattes sur moi. Mais l’instant où j’ai arrêté de me débattre, frigorifiée par ce qui se passait, l’araignée elle, tissait sa toile à son propre rythme.
Et c’est là où j’ai compris que les sourires et les personnes gentilles font aussi des choses horribles et que malgré le fait que je ne voulais pas, l’araignée était plus forte que moi et m’avait prise dans son piège.
J’ai fini par m’endormir et lui aussi. Le lendemain matin, il n’était plus là. Il est parti avec quelque chose qui m’appartenait et avait gagné mon silence malgré ma douleur qui hurlait.
J’ai tellement eu peur d’en parler pendant de nombreuses années. J’ai enterré cette soirée dans ma mémoire et je n’ai pas vécu les émotions de mon agression pendant longtemps. Je les ai ignorées comme lui a ignoré ce qu’il m’a fait il y a bientôt 13 ans. Mais j’ai fini par vivre ces émotions, car j’avais besoin de panser la blessure qu’il avait laissée à l’intérieur de moi. J’ai mis un certain temps avant de réaliser que mes plaies ne guérissaient pas parce que je conservais tout en dedans dans une petite boîte que j’avais fermée à clé.
C’est comme si j’avais finalement réussi à ouvrir un coffre aux trésors : j’étais libre et tout brillait en moi. Il n’y a pas de recette magique pour guérir d’une agression ; cela prend du temps. J’ai pour ma part fait beaucoup de travail sur ma personne et j’essaie du mieux que je peux de regarder en avant. Ce n’est pas toujours facile, je me bats quotidiennement avec les nombreux obstacles de mon Trouble de la Personnalité Limite, les souvenirs du passé et j’ai encore peur la nuit, les lumières fermées. Mais maintenant, je vois clair, même lorsqu’il fait noir.
J’ai même réussi à cesser d’avoir peur des araignées – même de celle qui m’a fait mal, il y a bientôt 13 ans.