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Surmonter ses sources d’anxiété : édition dentiste
Crédit: fiphoto/Shutterstock

J’ai la chienne des dentistes. Pas que je fais le saut quand j’en croise un.e dans la rue, plutôt que je panique à l’idée d’être prise dans leur chaise. C’est ainsi que durant les dix dernières années, je me suis rendue en clinique seulement en cas d’urgence, lorsque j’avais la sensation d’avoir une tronçonneuse à la place des dents de sagesse. Chaque fois dans une clinique différente, à la dernière minute, en urgence.

Je ne suis pas la seule à avoir peur du dentiste, je le sais. Mais j’ai une histoire peu commune. À l’âge de 7 ans, en jouant avec des amies, je suis tombée dans les escaliers d’acier galvanisé de notre aréna de quartier. Mon frère venait de terminer sa partie de hockey et ma maman avait accepté que je m’éloigne le temps qu’elle attende sa sortie du vestiaire. J’ai perdu pied, mon visage est tombé sur une marche, le coin arrivant à la perfection entre mes dents du haut et du bas. Deux secondes avant, j’avais encore toutes mes dents de bébé, excepté mes palettes de grande, qui elles avaient poussées dans l’année. C’est la dernière fois que je les ai eues, genre. (Il restait des bouts, là. Des bouts morts, mais des bouts.)

J’épargne les détails, on peut facilement imaginer la suite. Dans ma bouche, c’était brisé, emboîté, enfoncé, déchiré. Nous n’avions que peu de sous et pas d’assurance dentaire. Moi, j’étais couverte de bleus, gênée, mise de côté, car je n’étais plus jolie. À mon passage, j’entendais les grand.e.s de troisième année chuchoter que j’étais une enfant battue. À l’Halloween, j’ai choisi mon costume en fonction de mes deux yeux au beurre noir qui tardaient à s’estomper. J’ai appris à sourire la bouche fermée. Je voyais les yeux des adultes exprimer leurs réactions étouffées face à mon image. Puis j’ai dit à ma maman qu’au moins, je n’étais pas tombée sur la tête. #EnfantOptimiste

 
Crédit : Suzanne Robert
As known as ma mouman d'amour.

Ste-Justine offrait des services de médecine dentaire gratuits ou à moindres coûts pour les enfants qui, comme moi, nécessitaient des interventions autres qu’esthétiques et qui provenaient de milieux défavorisés. Fun fact : je n’ai jamais su lorsque j’étais enfant que mon milieu était défavorisé parce que ma mère s’est pliée en quatre pour que nous ne le ressentions pas. J'en ai pris conscience une fois adulte. Comme j'ai aussi pris conscience sur le tard de la gratitude que je dois à Ste-Justine, puisqu’illes ont sauvé ma dentition, m’ont redonné mon sourire et ont permis à ma mère que je sois soignée malgré nos fonds insuffisants. 

J’avoue cependant qu’enfant, je les ai détestés. J'ai détesté Ste-Justine parce que j’y avais mal, j’y avais peur, j’y pleurais à en hurler. Au moins une fois par mois, durant un temps. Parfois plus souvent. Puis de moins en moins, jusqu’à ce qu’on ait fini de réparer ce qu’on pouvait des dégâts, quelque part durant mon adolescence. Bref, ça a pris des années. Et quand je n’y ai plus été obligée, j’ai évité les soins dentaires à moins d’une douleur insoutenable.

Parce que les rares fois où j’abdiquais et j’y allais, le cœur voulait me sortir du thorax. J’avais chaud, je me sentais comme une enfant, apeurée, incomprise, invalidée. Je m’y tapais d’épiques crises d’anxiété avant même d’apprendre ce qu’était une crise d’anxiété. J’étais en colère du paternalisme des dentistes, de leurs commentaires condescendants à propos des caries que je refusais de faire réparer. Je me brossais les dents soir et matin en me disant que ce serait bien suffisant pour les éviter jusqu’à ma mort. Dans ma tête, aller chez le dentiste = over my dead body.

Puis, une carie très profonde s’est mise à faire des siennes. Pas juste une dent de sagesse que je pouvais faire extraire sans plus y penser. Une molaire. Et la douleur entrait en conflit avec ma concentration, mes travaux, mes examens en pleine fin de session universitaire. J’ai téléphoné à une nouvelle clinique, comme d’hab, mais pour la première fois, j’ai demandé à la personne de la réception si je pouvais lui parler 5-10 minutes. Elle m’a dit oui, et je lui ai raconté : mes peurs, l’anxiété, le cœur dans la gorge, l’envie de m’enfuir, de mordre, de kicker toute et de flipper des tables. Illes m’ont accueillie sans rien dire, ont laissé deux hygiénistes avec moi dont un seulement pour me tenir la main, ont fait la procédure dans le calme, sans l'ombre d'un commentaire quelconque. 

Bien que j'aie tremblé, j’ai réussi à ne pas brailler. J’étais comme une p’tite feuille d’automne à moitié ratatinée. C’était pas l’fun, sauf que c’était pas si pire, t’sais. Alors, j'ai décidé de réessayer, pour voir. Finalement, j’y suis retournée quatre fois en deux mois pour pallier à la négligence des dernières années, et j’ai enfin potentialisé mes awesome assurances dentaires que je payais dans le vide depuis sept ans. Je suis en mesure de gérer cette anxiété, mais juste parce que j’ai enfin trouvé des dentistes gentil.le.s qui n’ont pas l’air de me trouver niaiseuse d’être anxieuse. (Que l’on ne m’oblige jamais à changer de dentiste, par contre, ce n’est pas vrai que j’ai pu peur, dans l'fond.) 

Cet été, je peux enfin croquer dans les cornets de crème glacée. 

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