Féminisme Ink : Entrevue avec l’artiste tatoueuse montréalaise Camille Francœur Caron
Marjolaine DavidRencontre au tout nouveau Minuit Dix, un salon vegan et engagé, avec la très généreuse Camille Francœur Caron.
Pourquoi se faire tatouer?
C’est drôle, je me le demande souvent le soir dans mon lit… Tu peux changer tes vêtements, te couper les cheveux ; les tatouages sont les seules choses que tu peux apporter partout avec toi. Chaque tatouage a une histoire. Même s’il n’a pas une signification importante, tu te rappelles du moment passé avec la personne qui te tatoue. C’est une marque dans la peau, comme une cicatrice que tu as choisie.
Comment as-tu commencé à tatouer?
J’ai commencé à pratiquer chez moi sur des fausses peaux avec une machine et au stick and poke. Je faisais des petits tatouages sur ma famille et mes ami.e.s, sans l’intention de tatouer pour vrai. C’était plus pour le fun. À ma deuxième session à l'université, j’avais un horaire moins chargé, alors j’ai fait le tour des shops pour trouver un apprentissage.
Pourquoi le handpoke?
Quand j’ai commencé, on me disait que le stick and poke ne servait à rien et que ce n’était pas des vrais tatouages. Cette technique fait face à beaucoup de stéréotypes. Ça m’a toujours intriguée, mais je ne connaissais personne dans le milieu qui en faisait. Puis, j’ai découvert le travail incroyable de Grace Neutral, une Londonienne qui tatoue sans machine. De fil en aiguille #PunIntended, j’ai découvert le travail d'autres artistes comme Jenna Bouma. J’ai réalisé que mon niveau de stress était moins élevé. Le handpoke, ça ne fait aucun bruit, c’est beaucoup plus doux. La vibe est moins rapide… Puis, par hasard, mon power supply a brisé lors de ma première journée dans une nouvelle shop après avoir complété mon apprentissage, alors j’ai réalisé les tatouages que j’avais bookés dans la journée sans ma machine. La transition a été assez rapide. Au début, je tentais de convaincre les client.e.s d’essayer cette technique. Maintenant, c’est fini ces niaiseries-là, je fais à ma tête. [rires]
Une expérience difficile de tatouage…
J’ai dû apprendre à mettre mes limites comme tatoueuse. C’était un gars très imposant, il m’envoyait plein de e-mails et m’appelait même le samedi matin sur mon téléphone cellulaire. C’était une grosse pièce et il trouvait que ça n’allait pas assez vite. Pour la dernière session, il est arrivé une heure et demie en retard. Je n’ai pas réussi à terminer son tatouage, il a crié, mais n’est jamais revenu. Quand il est parti, je me suis mise à pleurer…
Quel est le processus pour se faire tatouer par toi?
D’abord, m’envoyer un e-mail avec les informations sur le tatouage. Puis, il y a une première consultation pour en parler, puis une deuxième, pour voir le dessin. Le jour même, je trouve ça trop stressant. Finalement, on prend le rendez-vous pour le tatouage!
Crédit : cammy06/Instagram
Comment être féministe se traduit dans ton travail?
Encourager les autres filles! Je n’ai pas l’impression d’être en compétition avec elles. Je considère que le succès des autres n’empêche pas le mien. Entre filles, on doit se tenir ensemble et ne pas rabaisser les autres. Je tatoue beaucoup de filles, je ne sais donc pas comment je pourrais tatouer sans me considérer féministe. Ça se reflète dans tout ce que je fais et dans les discussions avec mes client.e.s. Pour moi, c’est de traiter tout le monde de la même façon et de ne pas avoir de préjugés, mais aussi dans ma capacité à mettre mes limites.
Qu’est-ce que le Minuit Dix?
Un rêve! [rires] En entrevue avec Curious Montreal, on m’avait demandé de nommer des artistes dont j’admirais le travail ; j’avais automatiquement nommé celui de Muriel et de LuCi. Quand Muriel m’a envoyé un simple message sur Instagram pour savoir si je voudrais venir travailler avec elles dans leur nouveau studio, j’avais de la difficulté à rester calme! Minuit Dix, c’est une shop ultra-inclusive et ouverte. On veut que les gens se sentent à l’aise et respectés. Le milieu du tatouage étant marginal, je ne comprends pas qu’il y existe des discours homophobes, transphobes ou racistes.
Penses-tu que c’est plus difficile comme femme de réussir dans le monde du tatouage?
Oui, c’est plus difficile, mais ce ne doit pas être un obstacle à la réussite. Il y a beaucoup de progrès dans les dernières années. Le projet Needles & Pins de Grace Neutral pour Vice est un bon exemple. Par contre, comme femmes, nous avons des standards à remplir. Mon style étant considéré comme girly, j’ai l’impression que mon travail est moins valide et je dois travailler plus fort. Un homme qui fait du trad se fait probablement moins critiquer. En plus, le stick and poke est dévalorisé… On m’a déjà demandé : « Les gens payent pour ça? » Si j’avais été un homme, on ne m’aurait probablement jamais posé la question.
Pour suivre Camille sur Instagram, c'est ici.