Depuis que je suis jeune, je fais du camping ou des activités en plein air, et j’ai développé rapidement un goût pour l’aventure qui, je l’ai compris en vieillissant, n’était pas généralement encouragé chez les filles.
J’adorais grimper aux arbres, me baigner dans le lac et faire de la tripe derrière le bateau. Je pêchais des poissons toute la journée et je n’ai jamais chigné à la vue des vers grouillants que j’attachais aux hameçons. J’étais toujours la première à sauter dans les trous d’eau ou à courser dans les sentiers de la forêt avec mon quatre-roues. Je trouvais ça normal, car après tout, ça l’était pour les garçons.
Pourtant, chez moi, les gens trouvaient ça étrange. On me qualifiait de garçon manqué, ou de « tomboy », au point où j’ai internalisé cette expression. Adolescente, j’ai commencé à dire que je n’étais pas comme les autres filles. Je me suis identifiée avec les garçons et, sans le savoir, je faisais du sexisme ordinaire. J’ai rapidement compris que, de façon inconsciente ou pas, ce qui était qualifié de féminin ou associé aux filles était mal vu, rabaissé, dénigré. J’ai donc renié tout ce qui s’y rattachait, espérant ainsi élever ma valeur aux yeux de la société.
J’étais un garçon manqué, à défaut d’être un garçon tout court, et c’était déjà beaucoup mieux que d’être une fille, pour moi. Je rabaissais d’ailleurs celles-ci sans aucune gêne dans le but de gagner plus d’approbation de la gent masculine. Les filles sont faibles, superficielles et vaines, j’en étais certaine. Le maquillage était à mes yeux un signe d’infériorité intellectuelle et d’insécurité, tout comme la mode, les films romantiques et les selfies.
Beaucoup de gars me disaient que j’étais cool, pas comme les autres, alors je me sentais validée dans cette mentalité. Je faisais quand même le minimum que l’on attend des filles, c’est-à-dire garder mes jambes impeccablement imberbes et m’arranger pour être un minimum désirable, car dans le cas contraire j’aurais dépassé la ligne invisible des stéréotypes reliés aux genres, et si je n’étais pas assez une fille, je n’aurais pas été aussi bien reçue de la part des garçons.
Je nageais donc entre deux eaux, toujours soumise à cette image que je devais maintenir intacte. J’ai longtemps fait semblant d’aimer regarder le sport à la télé juste pour cette raison, alors qu’au fond il n’y a rien qui m’ennuyait plus. Je riais aux blagues sexistes et je numérotais sur dix les femmes que l’ont voyait passer selon leur apparence, même si, au fond de moi, ça me rendait inconfortable.
Tous ces comportements étaient vraiment bien internalisés, pourtant, un jour, j’ai commencé à les questionner, sans arriver à totalement m’en défaire. Je suis devenue féministe, réalisant que les intérêts associés aux femmes étaient dénigrés simplement parce que les femmes l’étaient elles-mêmes. J’ai intégré ces nouvelles notions alors que ma compréhension de notre société et des schémas de pouvoirs grandissait. J’ai commencé à respecter les femmes, peu importe leurs choix et leurs goûts, mais je n’arrivais toujours pas à m’intéresser à tout ce que l’on qualifie de féminin. Un relent de sexisme subsistait en moi, enraciné dans ma chair depuis ma tendre enfance. J’ai continué ma vie en essayant le plus possible de respecter chaque individu.
Puis, un jour, je suis devenue planteuse d’arbres. Je cherchais un moyen de voyager tout en gagnant de l’argent et le hasard m’a amenée dans les terrains déboisés du nord de l’Ontario. Ayant déjà fait de la natation au niveau compétitif, donc m’entraînant intensivement, et ayant toujours aimé la nature et les défis, je me suis dit que c’était le parfait emploi pour moi. J'étais donc armée d’une pelle, à dormir dans une tente à la merci des intempéries, dans l’aventure la plus difficile de ma vie, à la fois physiquement, mentalement et émotionnellement. J’en suis depuis changée à jamais. Là-bas, dans la douleur quotidienne, les blessures qui nous parsèment le corps et la terre qui nous colle à la peau, les stéréotypes de genre sont amenuisés. Tout le monde était sur le même bateau, et même si la masculinité y était évidemment glorifiée et que la féminité y était évidemment dénigrée, tout le monde était néanmoins traité de façon égale. Nous étions tou.te.s sales, avec les jambes poilues et la sueur dans le dos. Je n’avais pas honte de ne porter que des vêtements informes ou de cracher par terre et je ne me sentais pas moins désirable pour autant. J’ai développé une grande fierté dans l’accomplissement des épreuves que ce travail amène sans cesse, et aussi une confiance en moi qui semblait toujours m’échapper auparavant.
Tranquillement, à mon retour, j’ai commencé sans vraiment m’en rendre compte à m’intéresser davantage à certains côtés de la féminité. Le premier pas à été fait lorsque je me suis acheté un rouge à lèvres. Timidement, j’ai commencé à regarder des tutoriels de maquillage sur YouTube. Avant, je me trouvais toujours trop grande et trop costaude pour me considérer cute, parce que je pensais qu’il fallait être petite et menue pour être vraiment féminine. Maintenant, je revendique ce terme et je le brandis comme une victoire.
Maintenant, je suis fière de mes talents de maquillage qui se sont rapidement développés (ainsi que mon éventail de produits de beauté) tout comme je suis fière d’être capable de survivre en forêt. Maintenant, je n’ai aucune honte à être moi-même et à développer mes intérêts, que je ne qualifie plus de féminins ou de masculins, mais d’intérêts tout court, car j'ai réalisé que les stéréotypes ne sont que des limitations. J’arrive à m’assumer et je me sens de plus en plus épanouie, car je n’ai plus honte à être qui je suis ; je suis forte et je suis cute et je m’aime ainsi.