
Elle a toujours été un symbole de résilience pour moi. Elle a traversé beaucoup d’épreuves, a été spectatrice de plusieurs révolutions politiques, technologiques et philosophiques. L’histoire d’amour qu’elle a vécue avec mon grand-père pendant la guerre est digne d’un film hollywoodien. Elle s’est toujours tenue droite, a fait face aux préjugés et a combattu les stéréotypes. J’ai du mal à la voir perdre son autonomie parce que c’est ce qui l’a toujours rendue fière. Les souvenirs que je garderai d’elle sont ceux d’une femme solide, avant-gardiste et heureuse.
Mais j’ai un aveu à faire : j’ai du mal à la voir perdre ses repères ainsi parce qu’elle a toujours été orgueilleuse, elle a toujours eu les pieds sur terre. Depuis quelques années, elle s’évade de plus en plus dans un ailleurs que l'on n’arrive pas à cerner ; les plus grandes évidences sont pour elle de terribles mensonges, les petites choses du quotidien deviennent des épreuves. Et lorsqu’elle se rend compte de ce qui lui échappe, c’est l’anxiété, la colère et la tristesse qui l’envahissent. Pour ceux qui l’entourent et qui l’aiment, c’est très difficile. Pour elle aussi, c’est pénible. On ne la reconnaît plus, elle ne se reconnaît plus.
Voir la démence prendre de l’ampleur, c’est observer la vie filer en douce, sans pouvoir la rattraper. Avec l’esprit de ma grand-mère qui s’envole peu à peu, ce sont de grandes pages d’histoire qui s’étiolent, des souvenirs qui ne se transmettront plus par sa voix, qui ne voyageront dans le temps que par le biais de photos et anecdotes rapportées. Dans ces circonstances, je ne peux que tenir la main de ma grand-maman pour amortir sa chute, avec tout l’amour qui soit.