Aller au contenu
Le begpacking : pour ou contre?
Crédit: Micah. H/Visual Hunt

Récemment, je suis tombée sur un reportage traitant d’un phénomène que je connais bien, mais dont j’ignorais l’appellation : le begpacking. En gros, c’est le fait qu'un Occidental mendie afin de financer son voyage dans des pays en développement. Je dois avouer que le reportage m’a laissée pantoise. D’un côté, j’ai des amis qui voyagent actuellement en Amérique latine de cette manière, en vendant de l’artisanat dans la rue. De l’autre côté, j’ai fait sept mois d’implication auprès des personnes vivant dans la rue ici, à Santiago du Chili. Mon petit mari travaille aussi avec cette population depuis plusieurs années alors je suis très conscientisée sur la question.

Avant de lire cet article, je n’avais pas fait le lien entre les deux concepts. Maintenant, je dois avouer que de mettre les deux côte à côte dans mon esprit m’a amené un lot de questionnements. Honnêtement, ça m’a dérangée. 

Je dois dire qu’ici, au Chili et un peu partout en Amérique latine, la sollicitation pour de l’argent est omniprésente! Il y a des vendeurs et artisans ambulants partout dans les parcs, les autobus bondés, les métros, la rue, etc. Mais, à côté, il y a les gens qui vivent vraiment de manière misérable, ceux qui demandent une contribution pour payer des frais médicaux exorbitants, pour manger et dans certains cas, disons-le, pour assouvir leurs besoins de consommation.
 


Jordan fait partie de ceux que j’ai interrogés. Assis à la sortie d’un métro, il venait d’aller s’acheter deux petites boîtes de vin avec son butin amassé dans l’après-midi et il était très à l’aise de me le dire, tout comme de me parler de son alcoolisme. 
Crédit : Elizabeth Dupont

J’admets que je n’avais jamais été vraiment confrontée à cette réalité avant de venir en Amérique latine. Je viens du Bas-Saint-Laurent et j’ai habité onze ans au Saguenay, alors je ne connaissais pas la réalité des grands centres. Au début, ça m’a bouleversée de voir tant de gens dans la nécessité de mendier, d’autant plus que j’étais volontaire auprès d’eux.

Avec le temps, j’admets que je me suis désensibilisée parce qu’on me sollicite sans arrêt, partout et pour n’importe quoi. Je reconnais que je suis privilégiée et en raison de la couleur de ma peau, ça se remarque facilement ici. Par contre, je n’ai pas les moyens de donner à tous ceux et celles qui me demandent un peu de monnaie pour prendre le métro, nourrir leur famille, payer leurs frais médicaux, etc.

Je suis toujours un peu déchirée. Il y a certaines personnes qui ont un emploi, mais qui vendent ou quêtent dans la rue pour arrondir leurs fins de mois. Il y a aussi ceux qui vivent de cette manière par choix d’être en marge de la société et finalement ceux qui mendient pour survivre.

Certains vivent dans la rue par choix. C’est le cas de cet homme que j’ai rencontré pendant mon implication. Pour lui, il n’est pas question d’intégrer une maison, il préfère vivre dans un édifice abandonné et laver des pare-brise pour subvenir à ses besoins.
Crédit : Elizabeth Dupont

Tout cela me ramène au point de départ : est-il acceptable qu’un Occidental vienne lui aussi mendier dans la rue pour financer son désir d’accroissement personnel alors qu’il y a déjà tant de sollicitation? Pour me faire une idée sur la question, je suis allée à la rencontre de mendiants de toutes sortes dans la rue.

J’ai été estomaquée de constater qu’aucune des vingt personnes interrogées n’était offusquée par le begpacking. Mon hypothèse était qu’ils auraient pu être froissés comme les Asiatiques du reportage parce que pour eux, mendier est un geste pas très reluisant de rabaissement à l'extrême pauvreté. Pourtant, il n’en est rien ici. Bien entendu, ce n’est pas valorisé, mais il semble qu’au Chili il s'agit d’un mode de vie socialement accepté en raison du très grand écart entre les riches et les pauvres. Toutes les personnes consultées pour les besoins de cet article m’ont sensiblement répondu que chacun a ses propres raisons de le faire et donc qu’ils respectent tous ceux qui le font, peu importe la couleur de leur peau, la nature de leurs motifs et les privilèges qu’ils ont. Ils sont quatorze à m’avoir souligné que chacun est libre de déterminer ses besoins et que personne ne doit en juger.

Crédit : Elias Arrauz
Certaines personnes se forment des campements dans les ruines de bâtiments abandonnés. La majorité d’entre eux possède un petit boulot de vendeur ambulant. Beaucoup de personnes qui vivent dans la rue possèdent un petit travail, contrairement à la croyance populaire.

Cette petite enquête non exhaustive m’a rappelé deux choses : premièrement, il est essentiel de prendre en compte le contexte culturel dans lequel on observe un phénomène donné. Chaque culture a ses codes et règles. Deuxièmement, les Chiliens m’ont grandement appris sur le vivre et laisser vivre depuis mon arrivée ici et voici encore un excellent exemple. J’ai le droit d’être offusquée de voir le phénomène, mais en même temps, qui suis-je pour défendre les Chiliens qui mendient ?

Plus de contenu