Je ne pensais jamais que ça pourrait m'arriver à moi. Je ne cherchais pas le trouble, je ne m'habillais pas sexy. Il était minuit et demi et j'étais dans mon quartier (eh oui, j'étais brainwashée par la société). J'étais sur ma rue. J'ai eu un déclic.
C'est au moment où on se sent le plus confortable que la réalité nous frappe en pleine face. Il y a quelques années, une auto m'a suivie. Pas longtemps, mais assez pour que ce soit la plus grande peur de ma vie. Je revenais tranquillement en marchant du métro, dans la zone bourgeoise de mon quartier où je n'ai jamais eu peur. Certes, je me suis fait aborder à plusieurs reprises par des chauffeurs qui m'invitaient à entrer dans leur véhicule ou qui « complimentaient » mon corps pour être polie, mais jamais n'ai-je cru que ma vie était en danger, que ce pourrait être la fin.
Son auto frenchait le trottoir tellement il était proche. Il voulait avoir des directions. Comme je l'ignorais, il est devenu agressif. S'est mis à crier. Au point où, la voix tremblante, je lui ai dit d'accord, dis-moi où tu veux aller, je vais te donner l'information que tu veux. Mais il était fâché. Il était fou de rage. Probablement sous influence. Et son char me suivait à la trace. J'ai eu beau reculer le plus loin possible, il était trop proche. Et, comble du malheur, les fenêtres arrière de son 4 x 4 étaient recouvertes de draps noirs. Pourquoi y'avait-il des draps accrochés, bon dieu!
Non, non, non, non, non, non… C'est pas vrai? Comme ça, tout bonnement, je pourrais être kidnappée et même tuée? C'est si arbitraire que ça? Ça peut m'arriver à moi? Pas besoin d'être belle, pas besoin de montrer de la chair. Juste d'être moi, une femme, au mauvais moment.
Quand je suis arrivée aux feux de circulation, j'étais incapable de penser à reculer, crier, appeler la police, cogner chez les voisins. Je figeais. Et, sous ses aboiements, je remarquai deux jeunes hommes qui étaient non loin, qui marchaient dans la même direction. Je les ai pointés. J'ai dit au chauffeur qu'il n'avait qu'à demander ses maudites directions à ces deux-là. Puis soudain, il partit. Il appuya sur l'accélérateur et décolla en vitesse.
Je shakais solide. J'ai appelé mon père et ne faisais que répéter : « J'ai eu la chienne de ma vie. J'ai eu la chienne de ma vie. » Expression que je n'avais alors jamais utilisée auparavant.
J'ai eu de la chance. Les deux gars ont dû sentir que quelque chose n'allait pas. Ils m'ont suivie, formé un bouclier derrière moi jusqu'à ce que l'auto ne soit plus menaçante. Cette soirée-là, j'ai appris deux choses : les hommes sont des monstres et les hommes sont des alliés.
Je n'ai pas appelé la police. J'ai cru, au départ, que je m'inventais une histoire : les agresseurs n'agissent pas de cette façon normalement, peut-être voulait-il vraiment des indications, name it. Un peu bousculée tout de même, j'ai raconté cette histoire à mon entourage. Et leur réaction m'a fait comprendre que, peu importe ce qui s'est passé, quelque chose ne fonctionnait pas dans notre société.
Je leur ai dit que je ne voulais plus marcher seule le soir. Que j'avais peur. J'ai eu des :
« Ben, suis des cours d'autodéfense. »
« Ne plus marcher seule le soir? Si tu es féministe, tu ne dois pas céder à la peur. »
« Moi, je m'arrange pour porter des vêtements qui cachent, ça aide. »
« Pourquoi n'as-tu pas appelé la police? Penses-y, il pourrait vouloir kidnapper quelqu'une d'autre! »
Pourquoi dois-je m'entraîner pour sortir la nuit alors que les hommes n'ont aucun souci? Pourquoi dois-je subir ce double discours, d'être à la fois forte et me cacher, d'oser mettre les pieds sur le trottoir le soir et, en même temps, que ce soit ma faute si quelque chose se passe? Pourquoi cherchent-ils.elles à me culpabiliser dans cette situation? Je ne pourrai jamais leur plaire. Peu importe ce que je fais, je suis fautive. Parce que je suis une femme. Je suis victimisée et blâmée en même temps. Je subis les rouages d'un des nombreux discours doubles qui nous affectent depuis le moment où la société a décidé de gérer notre sexe (soit, avant la naissance). Et, devant ces paroles contradictoires, ces paroles qui veulent du bien et qui sont blessantes, ces paroles banales qui pourraient sortir de n'importe quelle bouche, la féministe en moi est née.
Cette injustice, je ne suis pas la seule à la subir, et je suis loin d'en ressentir les pires coups #Intersectionnalité. Si j'ose rentrer seule petit à petit, quelque cinq ans plus tard, ce sera sur mes termes. J'ai le droit d'être féministe et ne pas vouloir m'exposer au harcèlement de rue la nuit. Mon combat se trouve sur un autre champ de bataille. Personne ne m'indiquera comment agir en tant que femme, plus jamais. Ni à moi ni à aucune autre.
Un coup porté contre l’une d’entre nous, c’est un coup contre nous toutes.