Cet automne, j'ai rencontré une jeune femme avec qui j'ai échangé sur un sujet encore très tabou : les enfants issus d'un viol. Après nos échanges et après avoir été informée qu'elle était elle-même une enfant issue d'un viol, nous avons convenu qu'il pourrait être intéressant d'en parler plus ouvertement, puisque les partages sur ce sujet sont pratiquement inexistants. Le constat est que l'on parle des victimes, mais bien peu des enfants de celles-ci. Et pourtant…
Voici donc la première partie de cette série d'articles : son histoire.
« J’ai eu un père jusqu’à l’âge de 7 ans. Un homme que j’appelais papa. J’avais une maman, un papi, et toute une famille du côté paternel ; des cousines avec qui je jouais, des tantes et des oncles chez qui nous allions fêter des anniversaires.
Puis, mon père et ma mère se sont séparés. Pendant un certain temps, mon père venait nous chercher, mon frère et moi, une fin de semaine sur deux (tout comme beaucoup d’enfants dans cette situation). Mais lors d'une de ces fameuses fins de semaine, mon père est passé nous prendre, mais n'est reparti qu’avec mon frère… Je ne comprenais pas.
Plus tard, ma mère s’est assise à côté de moi sur mon lit et m’a annoncé qu’il n’était pas mon père biologique et qu’il ne repartirait qu'avec mon frère, dorénavant. Dans ma tête d'enfant, je n'y comprenais rien. J’ai demandé à ma mère qui donc était mon « vrai » père et elle m’a répondu qu’elle ne le savait pas. Je ne sais plus si j’ai pleuré, mais ma mère m’a donné des bonbons et je suis retournée jouer dehors.
Je me souviens avoir essayé d’en savoir plus, mais ma mère refusait d'en parler. Quand je voulais savoir son nom, elle me disait, avec un peu de frustration et de rigidité, qu’elle ne le savait pas. Je comprenais alors qu’il ne fallait pas insister, et ce, même à l’âge de 7 ans (ça aurait été normal d'insister à mon âge!) Du jour au lendemain, j'ai perdu la moitié de ma famille. Ce n'est qu'à de rares occasions que je les ai revus.
Vers l’âge de 8 ans, mon grand-père s’est assis sur son balcon et m’a demandé de le rejoindre. Il pleurait. Il m'a « avoué » que j’étais née à la suite d’un viol. J’ai pleuré, et ce, parce qu’il pleurait, car je ne savais pas ce qu’était un viol. Puis, mon grand-père m’a demandé de ne pas le dire à ma mère.
Je me souviens être retournée à l’école la semaine suivante et en avoir parlé à mes copines. Nous avions conclu qu’un viol était un cambriolage.
Aujourd'hui, j’ai 31 ans. J’ai tenté d’en parler à ma mère à deux reprises seulement. La dernière fois, je devais avoir 23 ans, et ç’a été un non catégorique. Ma mère et moi avons toujours eu une relation très étreinte, et j’ai toujours pensé que c’était causé par les circonstances de ma venue au monde.
J’y pense tous les jours, et tous les jours j’entends ou je lis le mot « viol ». Est-ce normal que le viol semble faire partie de notre quotidien? On parle de la culture du viol, on parle des victimes, des répercussions sur elles. Nous semblons par contre oublier de parler des enfants qui sont issus de cet acte de violence. C’est tabou. Est-ce en raison d'un manque d'informations?
J’ai grandi avec cette notion, ce qui a peut-être facilité ma compréhension de la situation. Par contre, je me rends compte que ça m’affecte beaucoup plus en vieillissant. Je me suis souvent retrouvée à me demander si le monsieur qui me faisait peur dans l’autobus pouvait être mon père. Ou si le père de mon ami, qui me ressemble un peu trop, pouvait être l’homme qui a violé ma mère. J’ai peut-être un demi-frère? Une demi-sœur? Peut-être que cet homme a fondé une famille? Peut-être est-il en prison, voire même mort?
Ma plus grande phobie serait que l’histoire se répète et que je sois victime de viol à mon tour. Est-ce que c’est normal d’avoir cette phobie? »
À suivre.