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Cachez cet autiste que je ne saurais voir
Crédit: Constance Cazzaniga

Le mois de l'autisme vient à peine de commencer que, déjà, j'ai lu une bonne douzaine de textes qui m'ont fait rager. Chaque année, ce mois de sensibilisation me laisse pleine d'ambivalence : d'un côté, j'ai espoir que ça éduque et sensibilise, de l'autre, je constate que le discours change peu. On donne principalement la parole à des parents d'enfants autistes qui la prennent la plupart du temps pour parler des difficultés qu'ils rencontrent, du choc du diagnostic et de leur tristesse face à « l'absence d'avenir » de leurs enfants. Ça culmine à nommer Mathieu Gratton comme porte-parole du mois, le père d'un enfant autiste, mais pas lui-même atteint d'un TSA (Trouble du Spectre Autistique).

Qu'on s'entende, je ne crois pas qu'on doive taire les parents. Ils ont besoin d'échanger, de faire valoir leur position et de se sentir supportés par des personnes dans une situation similaire à la leur. Mon point, c'est que c'est aussi le cas des autistes eux-mêmes. Actuellement, j'ai plus l'impression qu'avril est le mois des parents d'enfants autistes, pas plus, et qu'on en oublie les adultes avec un TED (Trouble Envahissant du Développement).

Il y a cinq ans, on m'a diagnostiqué le syndrome d'Asperger. Après le choc que j'ai eu sur le coup, ça a été un vrai soulagement. Je n'étais pas folle, je n'étais pas malade, je suis juste différente. Je venais d'expliquer et de comprendre 20 ans à me sentir complètement déphasée du reste du monde. J'en ai parlé à une douzaine de mes proches tout au plus depuis, mais aujourd'hui je me sens prête à le dire ouvertement dans l'espoir que d'autres personnes asperger me lisent et se sentent moins seules. C'est l'effet qu'on eut sur moi les « coming out », à défaut de meilleur terme, de Louis T, de Marie Josée Cordeau, de Lucila Guerrero, entre autres. Et encore, j'espère qu'un jour les autistes non asperger puissent eux aussi prendre la parole.

Je décide d'arrêter de me cacher aussi parce que j'ai envie qu'on existe comme individus, pas seulement comme les enfants de. Parce que j'espère que c'est en faisant tomber les tabous que les gens s'éduqueront sur le syndrome. Parce que ce que les parents ont à dire, bien qu'important, me fait trop souvent me sentir comme le fardeau de ma famille, comme si mon trouble neurologique était la souffrance des autres. On a besoin d'entendre davantage d'autistes. Mieux, on a besoin de se rappeler que les adultes autistes existent.

Je n'ai pas une maladie mentale. Je ne veux pas guérir. J'ai un trouble neurologique. J'ai un talent inné pour la logique et la résolution de problèmes, j'ai une intelligence supérieure à la moyenne (et beaucoup de modestie). J'ai des hypo et des hypersensibilités un peu weird qui font partie de qui je suis. Je fais face à des défis, c'est vrai. Je manque d'écoute, l'empathie n'est pas évidente pour moi et je ne suis pas toujours à l'aise dans des situations sociales, mais une thérapie cognitivo comportementale m'a énormément aidée à m'adapter à votre monde de neurotypiques et à passer pour quelqu'un de juste un peu bizarre et déconnecté.

Ce qui fait que j'ai attendu cinq ans pour en parler ouvertement, c'est le manque d'éducation. Combien de fois ai-je entendu des gens prétendre connaître et comprendre l'autisme parce qu'ils ont rencontré une personne autiste? Combien de gens j'ai entendus dire qu'un tel ne peut pas être autiste, pas par savoir, mais simplement parce que l'autre ne correspond pas à sa vision du syndrome? Est-ce que j'ai vraiment envie de me faire dire que je ne suis pas asperger? Est-ce que j'ai envie d'expliquer à chacun tous les détails de mon trouble neurologique? Est-ce que j'ai envie de me faire comparer à votre neveu parce que c'est votre seule référence? Je suis une femme adulte. Bien sûr que je ne suis pas comme le p'tit garçon autiste que vous avez croisé à Noël chez votre tante.

Et c'est là, le plus grand défi d'être autiste. C'est de se savoir différent, de savoir qu'il y a un fossé entre soi et les autres et que peu de gens ont envie de construire le pont pour rejoindre les deux rives. C'est de là que vient la dépression, l'anxiété et l'isolation sociale dont beaucoup trop d'entre nous souffrent. On ne souffre pas de l'autisme, on ne souffre pas de notre différence, on souffre de comment elle est perçue.

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