Pour vrai, encore?
Je me suis déjà confiée à un autre blogue il y a trois ans : j’ai moi-même été victime d’un viol à l’âge de 16 ans par deux jeunes hommes dans la vingtaine. J’avais fumé quelques puffs de joint, mais j’ai refusé l’alcool qu’on m’a proposé dans l’appartement de l'un de mes agresseurs. Quand je suis revenue le lendemain matin et que j’ai cogné à la porte de ma meilleure amie, elle ne m’a pas crue. J’étais démolie. Elle n’a pas été la seule. Pendant 15 ans, j’ai été complètement déconnectée de mon corps.
C’est peut-être le fait que ça me rattache à mon histoire qui me fait tant réagir, ça et le fait que les mentalités n’évoluent pas. Notre société ne croit pas ses victimes, point final. Ce n'est malheureusement pas juste les médias, ça s’infiltre jusque dans les familles, les cercles d’amis, au travail, etc.
Plusieurs années après mon agression, quand j’ai parlé, j’ai malheureusement eu droit à des commentaires comme :
« Ben, t’avais consommé, tu t’es mise en danger. »
« Qu’est-ce que tu faisais chez des gars plus vieux? »
« Tu en as embrassé un pendant la soirée? Ben là, tu les as allumés. »
Non seulement ces commentaires n'ont fait qu'alimenter mon propre sentiment de culpabilité et de responsabilité, mais ils m'ont aussi empêchée d'aller chercher de l'aide. Jusqu'au jour où une travailleuse sociale qui m'a soutenue pendant presque un an, me dise : « Mélanie, ce que tu as vécu, c'est un viol. Il n'y a pas d'autres mots. Tu n'es pas responsable de ce qui t'est arrivé. »
Quelqu’un utilise ton corps sans que toi aussi tu participes à cet échange avec consentement? C’est un viol.
Ce que j'ai vécu, c'est une seconde victimisation. Mais je ne l'ai compris que très tard. J’en ai fait la découverte grâce à une autre collaboratrice avec qui j’ai échangé brièvement sur mon histoire, il y a quelques jours.
Jo-Anne Wemmers, professeure à l'École de criminologie de l'Université de Montréal, explique dans son livre Initation à la victimologie que :
1. Besoin d'informations ;
2. Besoins pratiques ;
3. Besoin de réparation, de dédommagement ;
4. Besoin d'un soutien psychosocial ;
5. Besoin d'un statut dans le système pénal ;
6. Besoin de protection.
Certaines femmes en parlent comme si c’était normal. Que de vivre à la rue, c’est se mettre en danger, par exemple, et qu'en tant que victimes elles sont responsables d’avoir été dans un état de vulnérabilité. Si elles ont consommé ou marchaient dans un quartier chaud, c’est encore de leur faute. Elles ne veulent plus porter plainte parce que les histoires se répètent. Les policiers ne les croient pas toujours et les procès sont trop peu nombreux.
Je n’ai jamais porté plainte lors de mon agression, alors quand une femme qui me fait confiance se confie et que je peux l'accueillir, et surtout la croire, c’est une victoire pour elle, mais aussi pour moi. Pour certaines, l'équipe et moi-même les accompagnerons jusqu'à la fin du processus. Elles sont minoritaires.
On ne peut pas perpétuer ça gang. J’aimerais tellement que le gouvernement, mais aussi la communauté, les gens, everybody, s’engage dans un vrai virage pour que les choses changent.
En tant que journaliste, pupitreur ou éditeur, il y a une responsabilité sociale vis-à-vis de ce qu'on publie et comment on le publie. Le choix des mots est crucial et peut avoir de lourdes conséquences sur la perception que le public aura d'une nouvelle. En perpétrant des discours qui font porter le blâme d'une agression ou qui laisse planer une quelconque responsabilité, certains médias alimentent cette culture du viol contre laquelle beaucoup de femmes se bâtent en ce moment. Condamnez ceux qui ont commis le crime et accueillez celle ou celui qui a subit les violences, de grâce. Ça pourrait changer une vie.